Vues: 290 Created: 2016.11.01 Mis à jour: 2016.11.01

Eudes et Johann

Chapitre 12

Mon père poussa la porte, prit une torche et la plaça à l’entrée d’un long couloir.

— Ce tunnel mène à la taverne, nous dit-il. Les participants à nos réunions n’ont ainsi pas besoin de passer par le château. Le tavernier reçoit un dédommagement.

Mon père ouvrit une autre porte avec une clef quelques mètres plus loin, il alluma une chandelle et nous fit entrer dans une pièce dont les murs étaient boisés. Dans le fond, une bibliothèque ; à droite une chaise devant un bureau fermé ; en face un poêle tiède, deux tabourets sur lesquels nous nous assîmes, Johann et moi. Mon père « Engel » prit place sur la chaise.

— Voilà, c’est ici que je gère toute ceci. Je te dirai où trouver les clefs en temps utile, Eudes, pardon Jérémie. Je te prierais de ne pas ouvrir le bureau tant que je n’aurai pas pas perdu la raison ou la vie. Il contient toutes les archives, ainsi que des informations confidentielles concernant les Maçons de cette Loge selon la terminologie de la Franc-Maçonnerie. Tu sais que c’est notre couverture, nous en avons seulement gardé quelques Rituels en les adaptant un peu pour les rendre… comment dire, plus érotiques. Tu seras également initié selon notre Rite si tu le souhaites. Vous pourrez venir ici pour lire, ce sont des livres consacrés uniquement à l’amour entre hommes, certains des classiques, d’autres qui ont été censurés.

— Il y en a beaucoup, dis-je, ils sont tous à toi ?

— Non, certains m’ont été prêtés par des Maçons qui n’osent pas les garder chez eux car ils sont mariés. N’importe qui peut les consulter pendant les réunions, mais la plupart préfèrent la pratique à la théorie. Je vais vous raconter l’origine de ces salles. Tu sais, Jérémie, que mon père, ton grand-père, est mort jeune. C’est ce qui m’inquiète aujourd’hui car j’ai bientôt le même âge que lui lorsqu’il nous a quittés. J’avais à peine plus de 20 ans et je ne m’entendais pas avec l’intendant de mon père, je lui ai offert de prendre sa retraite, ce qu’il s’est empressé d’accepter. J’en en engagé un autre sans vraiment le connaître. Il est toujours à mon service, ici son surnom est Jean. Ton grand-père n’avait rien eu le temps de m’expliquer comme je le fais aujourd’hui avec toi. J’ai dû me débrouiller avec Jean pour tout organiser, ce qui a nécessité plusieurs mois de travail. Tu me suis toujours ?

— Oui.

— Lorsque tout a bien fonctionné, nous avons décidé de nous occuper de cette partie du château. J’avais toujours entendu dire qu’elle était en ruine. J’avais trouvé un trousseau de clefs dans le bureau de mon père. Nous avons pris notre courage à deux mains et nous sommes entrés. C’était poussiéreux mais aucune trace de dégâts. Nous avons fait contrôler les fondations par la suite, aucun problème. Nous avons découvert le temple maçonnique et fait des recherches. Mon père l’avait fait construire, il semble que des Maçons se soient disputés et soient partis ailleurs, il a été rapidement fermé. Quant à la partie avec les bains, c’est aussi une occasion ratée. Mon père a voulu y implanter une brasserie pour utiliser l’eau des sources, il s’est avéré qu’elle n’était pas adaptée à la fabrication de bière. Ton grand-père est resté évidemment très discret sur ces échecs.

— Je comprends, dis-je.

— En me promenant dans la cave j’ai discuté à bâtons rompus avec Jean. Nous cherchions ce que nous pourrions faire avec tout ceci. « Et si nous faisions un bordel ? me proposa-t-il. Avec un bassin au milieu et des chambres tout autour. » « Un bordel ? lui répondis-je. Pourquoi pas ? Ce ne sera pas moi qui le fréquenterais en tout cas. » « Pourquoi Monsieur, cela vous choque-t-il ? » « Non, mais… autant vous le dire, je vous fais confiance, ne le répétez à personne, je préfère les hommes. » « Vous préférez les hommes, quelle coïncidence, moi aussi. » J’ai été très surpris, je ne le savais pas. Nous n’avons pas discuté plus longtemps ce jour-là. Nous avons décidé de faire nettoyer la cave, enlever les alambics et les cuves.

— C’est passionnant, dit Johann.

— J’ai fait connaissance quelque temps plus tard avec mon premier amour, un poète venu de l’étranger. Lorsqu’il est reparti il m’a laissé un mot en souvenir : « Je rêve d'un monde idéal où les hommes peuvent faire ce qu'ils désirent sans contraintes. Je rêve de la liberté. La liberté d'être ce que nous sommes, tout simplement. » Ces phrases m’ont inspiré, je me suis dit que si je pouvais laisser une trace de mon passage dans ce monde, ce serait de tout faire pour aider les hommes qui aiment d’autres hommes et qui sont brimés par la bienséance et la religion.

— Belle idée, dis-je à mon père.

— Je ne vais pas tout te raconter en détail, il a fallu quelques années avant que tout soit prêt. Le principe est simple : on devient membre de la Loge Maçonnique par cooptation, il est nécessaire de s’engager financièrement en fonction de ses revenus ou d’effectuer des travaux. C’est un de nos Maçons qui a par exemple créé les magnifiques mosaïques « romaines », d’autres nous fournissent le vin et les victuailles. Nous avons parfois des invités qui ne sont pas des initiés : des hommes de passage dans notre pays et qui sont connus par un Maçon ou alors des prostitués que nous payons et qui ne peuvent pas refuser une avance, ceci afin d’amener un peu de sang neuf et de diversité.

— Et je vais devoir reprendre le flambeau ? demandai-je.

— J’espère encore vivre de nombreuses années malgré mes soucis de santé, j’aimerais quand même que tu m’aides à gérer cette Loge. Tu auras aussi de nouvelles idées afin d’attirer plus de jeunes, nos Maçons vieillissent.

— J’accepte avec enthousiasme, Engel. Johann pourra-t-il aussi être initié ?

— J’ai fait une enquête à son sujet avant de l’engager, j’ai interrogé le pasteur chez qui il étudiait, ainsi que son instituteur. J’en ai parlé avec d’autres responsables, nous pensons qu’il est digne de confiance.

Johann rougit :

— Merci, Engel, dit-il. Je ferai tout pour mériter votre confiance. J’ai choisi un surnom : Lohengrin.

— Bienvenue Lohengrin, dit mon père. Nous ne pouvons recevoir qu’un Apprenti par réunion. Ce sera d’abord Jérémie jeudi prochain, puis toi à la suivante. Je vous laisse maintenant réfléchir à tout ceci. Je vais encore prendre un bain avant le dîner, je vous invite à vous joindre à moi et je vous laisserai ensuite seuls. Rassure-toi Jérémie, je respecterai les liens du sang qui nous unissent, je ne te demanderai jamais rien. Et je respecterai aussi ton ami Lohengrin.

Nous sortîmes du bureau et nous retournâmes dans la cave, mon père ferma la porte et le pénis de l’éphèbe retrouva sa position habituelle.

— Nous allons respecter l’usage, nous dit Engel, allons tout d’abord nous laver dans le petit bassin.

Je n’avais jamais vu mon père nu, ni ma mère d’ailleurs. J’étais affreusement gêné. Mon père se déshabilla naturellement, il avait l’habitude. J’ôtai également mes habits. Je fus surpris : j’avais toujours considéré mon père comme un homme fort et puissant, nu il paraissait faible et fragile, il avait de l’embonpoint, des varices aux jambes, sa bite était petite. Il était pâle et peu musclé.

— Tu vois, Eudes, me dit-il, ton père est déjà bien décrépit, surtout en comparaison avec vos deux corps d’adolescents magnifiques.

— Tu… tu est encore vigoureux, balbutia-je.

— Ne mens pas pour me faire plaisir, je sais ce qu’il en est. Mon médecin est un Maçon et il ne me cache pas la vérité. J’ai de la peine à bander en plus. Ah, j’ai encore oublié quelque chose.

Il prit une petite boîte dans son habit, l’ouvrit et me dit :

— Encore un dernier cadeau pour ton anniversaire : c’est la traditionnelle chevalière avec les armes de notre famille. Je te la donne déjà maintenant, je n’attends pas ta majorité.

Mon père me passa la bague au doigt puis me donna l’accolade en me serrant dans ses bras. J’eus un frisson au contact de son corps nu, lui avait les larmes aux yeux.

— Mon fils Eudes, je compte sur toi pour que tu fasses honneur à notre nom, pas parce que nous sommes des nobles, mais parce que nous sommes des humanistes.

Je regardai la chevalière et c’est moi qui eus les larmes aux yeux :

— Je ferai mon possible, papa.

— Bien, allons prendre ce bain.

Le bain fut bref, je n’avais plus envie de faire l’amour avec Johann. Tout ce que je venais de vivre m’avait secoué, j’allais devoir tout assimiler. Nous sous séchâmes tous les trois, nous rhabillâmes et sortirent de la cave. Mon père nous dit :

— Ce soir Johann est invité à notre table, tant pis si ma femme n’est pas contente. Je crois qu’elle s’est faite une raison. Je lui ai dit que tu te marierais avec Mademoiselle Winifred pour la calmer.

— Oui, j’ai eu la même idée que vous, Monsieur mon père.

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arthur Il ya 7 ans  
clyso Il ya 7 ans