Vues: 270 Created: 2016.11.14 Mis à jour: 2016.11.14

Eudes et Johann

Chapitre 25

J’espère avoir un peu plus que trois mousquetaires qui lisent mon récit, au moins quatre…

Nous suivîmes le maître d’internat, il nous mena dans la cave du bâtiment principal. Je me demandai s’il y avait aussi une initiation secrète pour les nouveaux étudiants. Ce n’était pas le cas, c’était juste pour nous distribuer l’uniforme du pensionnat : des habits noirs, très simples. Nous reçûmes deux pantalons, deux vestes, quatre chemises et un chapeau chacun. Nous les essayâmes pour voir s’ils avaient la bonne taille. Ludwig aurait aussi pu prendre des sous-vêtements ; après les avoir vus, il nous dit qu’il préférait que Johann lui en prête. M. von Däniken nous donna encore un nécessaire de couture contenant des aiguilles, du fil, des boutons de rechange ainsi qu’un ruban avec des numéros brodés. Il nous dit :

— Vous coudrez un numéro sur chacun de vos vêtements et vous pourrez les donner à la lavandière quand ils seront sales. Vous pouvez maintenant aller vous habiller dans votre chambre et redescendre déjeuner.

Une fois en haut, Johann donna un caleçon à Ludwig et nous nous habillâmes. Le Prince nous fit remarquer :

— Un peu grand pour moi, je n’en ai pas une si grosse. L’un de vous sait-il coudre ?

— Oui, moi, répondit Johann. Ma mère m’a appris et m’a dit que c’était utile, même pour un homme.

— Tu me coudras le numéro sur mes habits, dit le Prince, je te donnerai mon dessert pour te remercier.

Nous redescendîmes déjeuner. Il y avait du pain un peu sec, du beurre, de la confiture, du fromage et des pommes. Du lait, avec ou sans chocolat, comme boisson. Le maître d’internat prit la parole :

— Bonjour, Messieurs, et bon début pour cette nouvelle année scolaire. Les cours ordinaires reprendront demain. Nous aurons aujourd’hui les cours extraordinaires de Monsieur le Professeur Docteur von Venusberg. Ce matin à 10 heures, à l’aula : la conférence sur l’état du monde, la participation est obligatoire ; cet après-midi, à deux heures, le cours de biologie, obligatoire seulement pour les nouveaux étudiants et facultatif pour les anciens. Les nouveaux arrivés seront pris en charge par les camarades plus âgés que nous avons désignés. Les autres pourront faire des révisions. Bonne journée, Messieurs.

Philippe vint immédiatement vers moi. Nous visitâmes toutes les salles de tous les bâtiments, il m’expliqua où les différents cours étaient donnés. Il me proposa ensuite d’aller nous promener dans le jardin.

— Eudes, je t’ai demandé de sortir car je n’aimerais pas qu’un autre entende nos discussions, me dit-il. Je sais que tu n’es pas un étudiant ordinaire et que tu es le fils du Vicomte de R***.

— Oui, et toi, d’où viens-tu ?

— Pour les autres je suis le fils du directeur d’une mine du nord de la France. Ce n’est pas vrai, je ne peux pas te dire la vérité pour des raisons de discrétion.

— Je te comprends, tu n’es pas le seul dans ce cas. Moi, je suis venu avec Johann, le fils d’un paysan du village de Z***.

— C’est plus qu’un ami pour toi, j’ai vu comme vous vous regardez.

— Oui, nous sommes amoureux. Il devait être mon valet au départ. Est-ce que cela te dérange que deux hommes s’aiment ?

— Tu rigoles ou tu es sérieux ?

— Je ne te comprends pas.

— Ton père ne t’a pas dit ?

— Dit quoi ?

— Que ce pensionnat était réservé aux invertis.

— Non, il ne m’a pas dit, mais je commençais à m’en douter.

— C’est vrai que les étudiants ne doivent pas le savoir en arrivant. Ce doit être pour cela qu’il ne te l’as pas dit.

— Certainement.

— Moi, j’aime les deux, hommes et femmes. Je suis comme toi, mon père finance aussi cet endroit.

— Je ne le savais pas non plus.

— Je ne connais pas tous les détails, mais je crois qu’il existe un réseau secret qui désire aider les invertis ayant des difficultés et abolir les inégalités. Cette lutte n’est qu’à son début et prendra des siècles. Ce pensionnat est destiné aux jeunes qui ont eu des difficultés, soit à accepter leur situation, soit avec leurs familles. On leur offre la possibilité d’être entre eux, à l’abri, pour reprendre leurs études souvent négligées à cause de leurs problèmes. Le réseau paye aussi les frais d’écolage dans certains cas.

— Mais si leurs familles sont opposées à leur orientation, comment les convaincre de les envoyer ici ?

— On dit qu’on va « guérir » les adolescents : pour leurs parents cela signifie les faire revenir dans le droit chemin, pour le réseau cela signifie leur aider à accepter leur état. Von Venusberg, qui connaît bien la psychologie humaine, a écrit un texte plein de bla-bla-bla scientifique pour motiver les parents. Il est évidemment recommandé de ne pas remettre ce texte aux enfants. On conseille ensuite aux étudiants d’aller dans des universités éloignées de leur domicile jusqu’à leur majorité.

— Cela signifie quand même la rupture avec la famille.

— Les parents sont parfois plus enclins à accepter leur enfant comme il est après une longue absence. Chaque étudiant a aussi de longues discussions en privé avec un psychologue.

— Je suis très étonné d’apprendre tout cela. Et von Venusberg, reçoit-il des honoraires pour son aide ? Il met en danger sa réputation si l’on découvrait ses demi-vérités. Aucun étudiant ne sort jamais « soigné » du pensionnat, au contraire.

— Ses honoraires sont ses visites annuelles et la possibilité qu’il a de mater tous ces jeunes. Cela lui suffit. Les années passent jusqu’à ce que les parents remarquent que le séjour au pensionnat n’a servi à rien. Et il est précisé qu’une garantie absolue de « guérison » n’existe pas, chaque homme est unique.

— Je vais te faire une confidence : j’ai pu assister, caché, à l’arrivée d’un étudiant. Cela m’a paru assez brutal, particulièrement pour un jeune qui est déjà perturbé.

— J’ai aussi eu cette possibilité l’année dernière. Tous ne sont pas accueillis la même chose, certains le sont avec une extrême douceur. L’important est qu’ils acceptent de se dénuder puisque c’est la base de toute l’éducation ici, accepter son corps et ses pulsions telles qu’ils sont. La discipline est aussi importante pour progresser dans les études. Tu as certainement vu Parsifal. Je le connais, c’est un cas spécial. Il savait certainement tout dans les moindres détails à l’avance. Le directeur a voulu le tester. Il est de toute façon assez imprévisible.

— Tu sais qui il est ?

— Disons que c’est un cousin, très éloigné.

Philippe voulait certainement me dire qu’il avait, lui aussi, du sang royal dans sa bite.

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clyso Il ya 7 ans