Vues: 290 Created: 2016.12.27 Mis à jour: 2016.12.27

Eudes et Johann

Chapitre 59

Le lendemain matin, nous quittâmes le château à dix heures, à pied. Le ciel était légèrement voilé, ce qui rendait la chaleur plus supportable. Notre itinéraire était de toute façon en grande partie en forêt. Nous marchions sur de petits sentiers, les uns derrière les autres, et nous ne nous parlions presque pas. J’étais perdu dans mes pensées, je me remémorais tout ce qui s’était passé depuis l’arrivée de Johann dans ma vie, il y avait bientôt une année.

À midi, nous nous arrêtâmes à côté d’un petit lac pour pique-niquer. Il y avait quelques tables destinées aux promeneurs. Les domestiques qui nous accompagnaient mirent une nappe sur l’une d’entre elles et sortirent des couverts d’une caisse. Nous n’étions pas seuls, d’autres excursionnistes nous observaient avec curiosité, ce n’était pas tous les jours qu’ils avaient l’occasion de croiser le roi de si près.

— Et si nous nous baignions avant le repas ? proposai-je.

— L’eau doit être froide, me fit remarquer Johann.

— Pas plus froide qu’au pensionnat, rétorquai-je. Qu’en pense Sa Majesté ?

— Avec mes sujets qui me dévisagent ? répondit Ludwig. Et pourquoi pas, après tout. Je me fiche de ce qu’ils penseront. Ma réputation doit m’avoir précédé.

— Tu peux laisser ton caleçon, fit remarquer Philippe.

— Ce n’est pas hygiénique. Allez, tous à poil. Tel est le bon plaisir de Sa Majesté.

Nous nous déshabillâmes rapidement, devant les regards stupéfaits des promeneurs et des domestiques qui s’empressèrent de rechercher la malle où se trouvaient des linges pour nous sécher après le bain. Nous ne restâmes pas longtemps dans l’eau car elle était glacée. Ludwig alla saluer ses sujets dans le plus simple appareil.

Nous prîmes ensuite tout notre temps pour manger et faire une petite sieste. Nous repartîmes à deux heures et arrivèrent à cinq heures au refuge. La vue y était magnifique et l’intérieur très confortable.

Le début de la soirée se déroula calmement. Nous ne parlions toujours pas beaucoup. Les domestiques nous laissèrent seuls après le repas. Ludwig nous dit :

— Sortons sur la terrasse pour voir le coucher du soleil.

Cela me rappela la scène au bord de la rivière chez moi et le dis à mes amis.

— Oui, mais nous étions presque nus, nous fit remarquer Olav.

— Et alors, nous pouvons aussi nous déshabiller ce soir, dit le roi.

Personne ne se fit prier pour le faire et nous nous retrouvâmes les cinq alignés, main dans la main, pour contempler le soleil couchant. La boucle était bouclée, notre histoire se terminait comme elle avait commencé. Olav chanta et nous eûmes ensuite un dernier orgasme en commun.

Nous allâmes nous coucher tous dans la même chambre, personne n’eut envie de baiser. Le coeur n’y était plus, trop de tristesse nous envahissait en ce moment.

Nous nous levâmes tôt le lendemain matin et redescendîmes dans la plaine en marchant rapidement. Ludwig quittait Hohenschwangau directement après notre retour, au milieu de l’après-midi. Il ne restait plus que trois calèches et des soldats à cheval. Toute la Cour était déjà partie plus vite.

Ludwig et Olav ne se changèrent même pas, ils nous prirent dans leurs bras, nous serrèrent longuement, sans rien nous dire. Ils montèrent dans leur calèche et sortirent de la cour du château en nous faisant un dernier signe avec le bras.

Seul le concierge et deux domestiques étaient encore présents. Ils restaient toute l’année pour entretenir les lieux. Nous dûmes souper à la cuisine. Il restait encore beaucoup de victuailles, mais plus personne pour les cuisiner. Nous nous contentâmes de viande froide, de pain et de fromage.

Nous passâmes la soirée dans le salon de Ludwig en compagnie de Philippe et de sa fiancée. Nous convînmes de nous écrire souvent, de nous rencontrer à la première occasion. Il nous invita à son mariage qui devait avoir lieu quelques mois plus tard. Je savais déjà que ce ne serait pas possible d’y aller, nous devions continuer nos études au pensionnat. Nous bûmes un peu trop ce soir-là.

Le lendemain matin, nous nous levâmes très tôt. Nous dûmes encore faire nos malles nous-mêmes. Les domestiques vinrent quand même les chercher pour les porter dans la calèche. Nous déjeunâmes à nouveau à la cuisine et emportâmes des provisions pour le voyage. Nous prîmes congé de Philippe et de sa fiancée en nous serrant dans nos bras, comme la veille, sans rien nous dire.

Je montai dans la calèche avec Johann, pris sa main dans la mienne, le regardai. Comme moi, il avait les yeux embués de larmes. Je me serrai contre lui et l’embrassai.

Ce jour-là marqua la fin de notre adolescence insouciante. Nous avions la vie devant nous.