Skylane


Vues: 1054 Created: 2007.12.05 Mis à jour: 2018.12.07

Elodie

Elodie Ch. 3

Muriel gare la voiture dans le garage de la maison. Elle sait qu'à cette heure-ci les enfants doivent être à la maison et qu'ils l'attendent pour le dîner. Afin que Thomas ne voit pas le volumineux paquet de couches destiné à Elodie, elle décide de le laisser dans le coffre de la voiture. Par contre elle prend les échantillons que la pharmacienne lui a donné dans un emballage plus discret. Lorsqu'elle entre dans la maison, le petit Thomas qui regardait la télévision dans le salon lui saute au cou.

- Salut mon grand ! Comment ça va ? Ta journée à l'école n'a pas été trop difficile ?

- Non maman, c'était super. On a même fait un match de foot dans la cour de récréation après le déjeuner.

- C'est bien mais est-ce que tu as bien travaillé ? As-tu réussi ton contrôle de math ?

- Euh ... oui maman. Il n'était pas très facile, alors on verra bien.

- D'accord, je vois. Sais-tu où est Elodie ?

- Elle est dans sa chambre. Je crois qu'elle travaille.

- Bon, je monte la voir. Pendant ce temps file prendre ta douche. On mange bientôt.

Muriel monte vers la chambre d'Elodie. Elle se demande comment présenter la chose à sa fille, mais le faire maintenant lui semble la meilleure solution. Le départ est pour la fin de la semaine et il faut mieux savoir le plus vite possible si elle va accepter. Il faut qu'elle ait un minimum de temps pour s'habituer.

La porte de la chambre d'Elodie est ouverte. Elle entre et ferme la porte derrière elle. Elodie est assise à son bureau, plongée dans les bouquins.

- Coucou ! Comment vas-tu ma chérie ?

- Bof, moyen. J'ai eu une longue journée de cours et j'ai plein de boulot pour demain. Je dois terminer un commentaire d'arrêt. C'est trop le stress. Et toi maman, ça va ?

- Bien, mais j'aimerais te parler de quelque chose...

A ce moment Elodie aperçoit le sac de la pharmacie que sa mère tient à la main. Elle ne sait pas ce que c'est, mais elle sent une boule se former dans sa gorge. Elle ne répond rien.

- Elodie, j'ai été voir la pharmacienne ce soir. Je lui ai parlé du petit problème que nous avons pour le voyage. Selon elle, le plus simple serait que tu dormes avec des protections. Comme ça tu serais sûr de ne pas mouiller tes draps.

- Des protections... ?

- Oui, j'en ai acheté un paquet. Je suis désolée de te proposer ça, mais je ne vois pas d'autre solution. Ca me ferait tellement plaisir que tu acceptes et qu'on parte tous ensemble en vacances.

Elodie ne dit rien pour l'instant, mais elle sent des larmes lui monter aux yeux. Sa mère n'a pas prononcé le mot "couche", mais elle sait que c'est de ça dont il s'agit en réalité. Elle espérait tellement pouvoir éviter une telle humiliation. Muriel pose le sac de la pharmacie sur le bureau de sa fille.

- Ce sont des échantillons que la pharmacienne t'a donné pour que tu puisses tester les protections avant le départ et voir si cette solution te convient. Aussi tu pourras t'assurer qu'elles te vont bien et qu'elles sont bien adaptées. S'il te plaît, avant de refuser, essaye au moins une fois de dormir avec. Après, tu décideras si tu acceptes de les mettre là-bas. Mais il faut que tu saches que si tu ne veux pas, ce n'est pas grave, on rendra le paquet ! Je ne t'en voudrais pas.

- Maman, je ne peux pas mettre des choses comme ça ! Tu ne peux pas me demander de mettre des couches. Et si quelqu'un d'autre s'en aperçoit je vais mourir de honte...

- C'est juste pour ces vacances. Personne ne le saura. Je ne le dirai pas à ton frère. Et de toute manière je pense que c'est moins gênant pour tout le monde. Tu ne voudrais pas te réveiller dans un lit trempé ! Et la pharmacienne m'a assurée qu'elles sont très confortables. Avec ça tu passeras des nuits plus tranquilles.

- Maman, surtout ne parles de ça à personne, promets-le moi !

- Si tu veux. Et puis ce n'est pas si terrible, on ne part qu'une semaine.

Muriel sort de la chambre soulagée d'avoir fini cette discussion avec sa fille, mais elle s'en veut quand même légèrement d'avoir demandé une telle chose à sa fille.

Maintenant que sa mère est sortie, Elodie ne parvient plus à retenir ses larmes. Elle sort un échantillon du sac. La couche est enfermée dans emballage individuel sur lequel figure une présentation de la gamme et un descriptif du produit : "Tena Slip", "Super". Les dessins de l'emballage montrent qu'il s'agit véritablement d'une couche culotte avec des adhésifs pour l'attacher. Ils expliquent comment mettre les couches, et d'après le descriptif c'est presque les plus absorbantes de la gamme. Sa mère n'a pas fait les choses à moitié, elle a pris des vraies couches pas du tout discrètes. La honte, remettre des couches à vingt ans ! Elodie ne veut pas en voir plus pour l'instant. Tout en sanglotant, elle se jette sur son lit pour réfléchir. Elle ne veut surtout pas les porter, mais elle a trop peur de décevoir sa mère. C'est le prix à payer pour pouvoir profiter sereinement de ces vacances. "Au point où j'en suis, je crois que je n'ai rien à perdre à en tester une cette nuit. De toute façon personne d'autre que maman ne sera au courant. Je pourrai au moins lui prouver que j'ai fait un effort, que j'ai essayé. Suis-je suis égoïste ? Ai-je le droit de priver tout le monde de vacances parce que je refuse de me prendre en main ? Il faut que j'arrête de faire comme si mon problème n'existait pas. Je ne peux plus continuer à faire comme si de rien n'était en me cachant à la maison. Je dois assumer mon problème, arrêter de faire l'autruche et de me gâcher la vie" !

Juste avant le dîner, après avoir pris de bonnes résolutions, Elodie descend rejoindre sa mère dans la cuisine. Un rôti achève sa cuisson dans le four et une sympathique odeur flotte dans la maison. Tout cela redonne de l'appétit à Elodie qui n'avait plus trop faim. Sa mère est tellement concentrée sur la préparation du repas qu'elle ne voit pas Elodie arriver. Elle l'enlace dans ses bras et ferme les yeux. Elle lui murmure :

- Je suis désolée maman. Je suis vraiment désolée. Je sais que tu as beaucoup de choses à gérer. Et tu n'as vraiment pas besoin de te préoccuper de ce genre de problème en plus. Alors merci beaucoup d'avoir trouvé une solution pour moi. Mais je ne suis plus un bébé, j'aurais dû m'en occuper moi-même. Je ne voulais pas t'imposer ça.

- Je sais ma chérie. Je comprends bien que ce n'est pas une chose facile pour toi. A ta place je n'aurais pas voulu non plus aller voir la pharmacienne. Alors c'est normal que je me sois occupée de ma fille adorée. Je suis là pour ça.

- Merci maman, tu peux téléphoner à ton amie pour lui confirmer qu'on débarque tous les trois dans son chalet. Je ne vais pas me gâcher la vie à cause de ce problème.

- Super ! Je suis fière de toi ma chérie. Je sais que ça n'a pas dû être une décision facile à prendre. Mais ne t'inquiètes pas, tout va bien se passer. Sarah et sa famille sont des gens adorables. Je téléphonerai à Sarah demain si tu es d'accord.

- Oui, je t'assure que c'est bon pour moi.

- Elodie, tu veux que je prévienne Sarah de ce qu'il t'arrive ? Tu devras probablement dormir dans la même chambre que sa fille. Alors tu risques d'avoir du mal à le cacher. Je pense que le moins embarrassant pour toi et le plus correct serait que je prévienne Sarah et sa fille. Et puis ça te simplifierait la vie...

En entendant ça Elodie perd à nouveau ses moyens. Elle s'était faite à l'idée de porter ces stupides couches, mais elle n'est pas encore prête à ce que d'autres gens le sachent. Encore moins à partager une chambre avec une autre fille qui connaît sa situation.

- Tu ne peux pas leur dire ! Ils vont tous se moquer de moi avant même que j'arrive chez eux. Avec les protections que tu m'as achetées le lit ne sera pas mouillé et je m'arrangerai pour pas qu'elle ne voit ce que je dois porter pour dormir. Personne ne le saura.

- J'ai peur que ça ne soit pas aussi facile. Le chalet n'est pas très grand et on va être nombreux. Mais si tu veux on se laisse un peu de temps pour réfléchir. Demain, en l'appelant pour lui dire qu'on vient, je vais lui demander comment est disposée la maison. Pour savoir si par exemple il y aura une salle de bain dans votre chambre, ou bien une juste à côté où tu pourrais te préparer discrètement pour la nuit, sans que tu aies à te promener dans toute la maison ensuite. Le mieux serait quand même que tu essayes tes protections avant le départ, juste pour voir si c'est possible ou non de le cacher.

- Oui, ne leur dit rien pour l'instant. Je vais d'abord voir à quoi ça ressemble, si ça ce voit beaucoup ou pas.

- Ne t'en fais pas pour ça ma chérie. Au pire, seules Sarah et sa fille seront au courant. Sa fille a au moins vingt-cinq ans, elle va bientôt se marier. Elle a passé l'âge de se moquer d'une jeune fille bien plus jeune qu'elle qui a ce genre de soucis. Elle est plus mature qu'une gamine de quinze ans...

Thomas, lui aussi attiré par l'odeur du repas, arrive dans la cuisine et interrompt la discussion. Le repas se déroule sereinement maintenant que les problèmes ont été mis à plat entre Elodie et sa mère. Pour la première fois depuis la mort de son père, Elodie accepte un tel voyage. Changer d'air va être bénéfique pour tout le monde. A table la discussion tourne autour des vacances au ski.

- Alors Thomas, tu veux prendre des cours de ski cette année ou tu préfères qu'on skie tous ensemble ?

- J'aimerais passer ma deuxième étoile, mais je veux aussi skier avec toi et Elodie.

- Alors tu vas prendre des cours juste le matin et on ira skier tous les trois avec mes amis l'après-midi. C'est plus sympa comme ça.

- Oui génial ! Elodie tu feras la course contre moi ?

- Oui, mais t'es sûr de perdre. T'es trop nul pour gagner contre moi !

- A mon avis les enfants, celui qui va gagner c'est plutôt le fils de Sarah. Il a dix-huit ou dix-neuf ans et il a beaucoup plus l'habitude de skier que vous.

- C'est de la triche !

Après le dîner une ambiance studieuse s'installe à nouveau. Elodie se sent étrangement soulagée. Elle termine rapidement le commentaire d'arrêt de droit administratif qu'elle doit rendre demain. Ensuite, pour retarder le moment où elle devra aller se coucher, elle fonce dans la chambre de son petit frère pour se livrer à son activité favorite. Elle saute sur son frère qui est déjà dans son lit. Ils se livrent à leur séance rituelle de chatouilles et, comme d'habitude, le vacarme qu'ils font en chahutant attire leur mère. Elle fait semblant de s'indigner et d'essayer de les séparer.

- Elodie ! Laisses ton frère dormir, il est tard. Vas dans ta chambre te coucher. Tu as eu une longue journée.

- Oui maman, j'y vais.

- Bonne nuit Thomas. Bonne nuit Elodie.

- Bonne nuit maman. A demain.