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Vues: 829 Created: 2015.04.29 Mis à jour: 2015.04.29

Intra­mus­cu­laire

Intra­mus­cu­laire

Il n’avait pas eu le choix, le brave père Fran­cis. Il avait attendu, reporté, ter­gi­versé, dif­féré, finassé, pro­cras­tiné… et il avait dû se résoudre à faire venir un méde­cin. Il n’était même plus en état de se rendre lui-même à la consultation.

Le pra­ti­cien, l’air sévère, l’avait aus­culté. Sté­tho­scope, ten­sion, abaisse-langue, tem­pé­ra­ture, pal­pa­tions, réflexe ostéo­ten­di­neux, oto­sco­pie… le prêtre avait eu droit à la totale. Le ver­dict était tombé sous la forme d’une ordon­nance longue comme une sou­tane papale. Cachets, gouttes, sirop, et surtout…

Une piqûre par jour pen­dant dix jours, avait dit le médecin.

« Vous êtes sûr, docteur ?

— Cer­tain. Vous n’êtes pas conta­gieux, mais si je vous laisse dans cet état, vos ouailles devront bien­tôt se trou­ver un autre curé. Donc : piqûres. »

Et le père Fran­cis, bais­sant la tête, avait accepté ce coup du sort.

Dès le len­de­main, l’infirmière se pré­senta. Made­leine, la vieille gou­ver­nante qui s’occupait de la mai­son du curé, et par­fois aussi de sa santé, la fit entrer dans la chambre où le prêtre était alité. La soi­gnante était une jeune femme d’environ vingt-cinq ans dont les che­veux blonds étaient rete­nus en queue de che­val, sauf quelques-uns qui bati­fo­laient libre­ment sur ses tempes. Ses yeux étaient d’un bleu…

« Bon­soir, mon père. Je m’appelle Céline, je suis l’infirmière char­gée de vous faire vos piqûres pen­dant ces dix jours.

— Bon­jour, mademoiselle. »

Avec des gestes d’un pro­fes­sion­na­lisme sans failles, elle enfila des gants en latex, pré­para les ins­tru­ments, et se tourna vers le père Fran­cis, qui remonta sa manche.

« Pas dans l’épaule, déclara Céline. Dans la fesse.

— Dans la… fesse ?

— Exac­te­ment. Par­tie char­nue, riche en fibres, c’est l’idéal pour une intramusculaire.

— Mais… je suis prêtre !

— Et moi infir­mière. Allez, zou ! »

Le curé dut obtem­pé­rer. La mort dans l’âme, il se retourna dos à la jeune femme qui, d’un geste décidé, rejeta le drap afin d’exposer l’arrière-train du prêtre. Il sen­tit qu’elle dés­in­fec­tait la cible puis, d’un coup, elle enfonça l’aiguille en son centre exact et poussa le pis­ton de la seringue. Puis, satisfaite :

« Voilà ! Vous voyez que ce n’était pas grand-chose… »

Le père Fran­cis ne répon­dit rien, mais il s’empressa de rabattre le drap sur ce qui n’aurait pas dû être dévoilé.

Le len­de­main, Céline revint à la même heure. D’un œil sombre, le prêtre la regarda pré­pa­rer ses ins­tru­ments, puis elle s’approcha en sou­riant. Déjà docile, il lui pré­senta son dos.

Le troi­sième jour, il tourna son visage vers le mur dès que la jeune femme salua Made­leine avec sa gaité habi­tuelle. Elle n’eut qu’à sou­le­ver le drap et faire ce pour quoi elle était venue.

Il en fut ainsi cha­cun des jours sui­vants, jusqu’au dixième.

Quand on frappa à la porte, le père Fran­cis se rai­dit. Mais la voix qu’il enten­dit n’était pas celle qu’il redoutait.

« Bon­jour, mon père. Je m’appelle Fran­çoise. Céline a eu un empê­che­ment et elle m’a demandé de la remplacer. »

Fran­çoise avait la cin­quan­taine. Ses che­veux gris étaient dis­si­mu­lés sous un fou­lard à pois, et elle se dépla­çait len­te­ment à cause de son embon­point. Déjà essouf­flée par ces quelques pas, elle pré­para la seringue et s’approcha du père Fran­cis. Celui-ci com­men­çait à se retour­ner, mais, sans un mot, la rem­pla­çante sou­leva elle-même la manche du pyjama et, dans le même geste, le piqua dans le gras de l’épaule.

« Et voilà. C’était votre der­nière injection.

— Vous m’avez piqué à l’épaule !

— Oui. Pour une intra­mus­cu­laire, c’est faci­le­ment acces­sible et le patient est peu gêné, en cas de douleurs. »

Fran­çoise s’en alla.

Le curé était perplexe.

Il gué­rit, adopta une meilleure hygiène de vie pour évi­ter de retom­ber malade, et reprit ses acti­vi­tés habi­tuelles. Avec le temps, cet épi­sode glissa au fond de sa mémoire, s’ajoutant aux autres sou­ve­nirs désagréables.

Une année passa. Le père Fran­cis, assis dans la pénombre du confes­sion­nal, accueillait les gens qui venaient avouer leurs fautes. Der­rière la grille, une femme s’installait.

« Bon­jour, mon enfant, dit le curé. Quel péché avez-vous com­mis, pour lequel vous deman­dez le par­don de Dieu ?

— Bon­jour mon père. Je pèche chaque jour dans mon travail. »

Cette voix… rap­pe­lait quelque chose au père Francis.

« Quel métier exercez-vous, ma fille ?

— Je suis infirmière. »

Tout revint brus­que­ment en mémoire au prêtre. Les piqûres, les che­veux blonds, la seringue, la mala­die, les yeux bleus… et les fesses. Ses fesses à lui, nues, expo­sées sans défense aux regards de cette jeune per­sonne ! Il se sou­vint aussi du der­nier jour, de l’autre infir­mière, de l’épaule… Il se força à res­pi­rer trois ou quatre fois len­te­ment, en se concen­trant sur la tâche qui était la sienne dans ce confessionnal.

« De quelle nature est ce péché, ma fille ?

— Voilà… Quand je dois faire une piqûre à un homme, je la fais tou­jours dans la fesse. Ce n’est pas du tout une obli­ga­tion, mais j’en profite. »

C’était donc bien cela, se dit le brave curé. Elle a pro­fité de mes fesses. De mes fesses à moi, alors que je suis prêtre ! Il envi­sa­gea d’interrompre là ce mea culpa et de faire appel à un confrère pour finir d’entendre l’infirmière. Il pou­vait dif­fi­ci­le­ment être à la fois l’oreille com­pa­tis­sante et la vic­time désho­no­rée. Mais il était le seul ordonné dans l’église, et cette tâche lui incom­bait. Sans doute était-ce Dieu qui avait envoyé Céline (il se sou­ve­nait même de son pré­nom), pré­ci­sé­ment à lui, pour la confesser.

« Pré­ci­sez, ma fille. Quel pro­fit y trouvez-vous ?

— Eh bien, quand je vois ces fesses d’homme, j’ai des pen­sées impures.

— Est-ce que ces pen­sées sont dégradantes ?

— Oh, oui ! Je me sens tel­le­ment coupable…

— Vous devez apprendre à contrô­ler vos élans, ma fille. »

— Mes élans ?

— Oui. Ces pen­sées impures, que vous avez en voyant des fesses d’hommes, vous devez les maîtriser.

— Je n’y arrive pas. Dès que je les vois, c’est plus fort que moi. Il faut que… il faut que…

— Pour­sui­vez, ma fille. Faites sor­tir tout le mal qui est en vous.

— Il faut que je…

— Oui ?

— Mon Dieu, je n’ose le dire. Pour­tant, il le faut… C’est juste que quand je vois des fesses d’homme, c’est plus fort que moi… il faut que je les piiiiiiiiiiiiique ! »

Comments

mondoi Il ya 9 ans  
clyso Il ya 9 ans