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Le règne hégémonique du lait en poudre s'effondre dans les années 1970.
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. . . . . Dès les années 1930, sous l'impulsion des entreprises Nestlé ou Guigoz, le lait en poudre a en effet envahi les officines françaises, jusqu'à s'immiscer dans les discours du corps médical.
. . . . . « Les médecins conseillaient d'avoir recours au biberon pour contrôler la dose donnée et éviter les excès de table. Une autre croyance disait que le lait des mères changeait en fonction de leurs émotions», rappelle Marie-France Morel, historienne et coauteure de l'ouvrage Accueillir le nouveau-né, d'hier à aujourd'hui (Érès, 2013). Si une femme était prise de colère, on lui expliquait que son lait perdait en qualité, entraînant des effets néfastes sur la santé de son enfant.
. . . . . Le règne hégémonique du lait en poudre s'effondre dans les années 1970, après le rapport d'une ONG britannique qui met en lumière les techniques publicitaires de Nestlé qui incitent les femmes de pays en voie de développement à remplacer l'allaitement maternel par leurs produits. Alors que l'entreprise se targue de sauver les bébés malnutris du tiers-monde, un problème de taille est révélé par l'ONG : l'emploi d'un biberon nécessite un accès facile à l'eau potable, ressource rare dans ces pays pauvres. Le scandale est retentissant dans une époque où le lait artificiel était brandi comme un étendard de la liberté des femmes.
. . . . . Un autre frein pouvait peser sur les femmes françaises : l'influence de certaines féministes. Dans Le Deuxième Sexe ( Gallimard, 1949 ), Simone de Beauvoir décrivait l'allaitement comme un acte de servitude, incompatible avec l'égalité entre les sexes. Comment ne pas être assujettie à sa condition de femme lorsque la Mère est seule à devoir se lever la nuit pour nourrir son enfant ?
Un point de vue contraire à celui d'une autre mouvance féministe : celle des associations pro allaitement qui mettent en avant la spécificité du corps féminin capable de donner la vie. Créée dans les années 1950 aux États-Unis, à une époque où les taux d'allaitement étaient très bas, La Leche League arrive en France vingt ans plus tard. « Le féminisme dans notre pays s'est beaucoup focalisé sur l'IVG et la contraception, très peu sur la maternité », regrette Claude Didierjean-Jouveau, figure de la branche française de La Leche League.
. . . . . Des politiques publiques vont être mises en place, afin de rattraper le retard. En 1992, l'OMS et l'Unicef créent l'Initiative hôpitaux amis des bébés (Ihab), un label attribué à des établissements qui accompagnent les mères dans l'allaitement. « Il est intéressant de voir que la Suède avait des taux d'allaitement plus bas que la France dans les années 1970. Aujourd'hui, ils atteignent plus de 90 % à la naissance », observe Marie-France Morel.
. . . . . Des chiffres similaires à ceux de la Finlande ou de la Norvège, pays dans lesquels le label Ihab est présent dans la quasi-totalité des maternités. L'initiative progresse en France, avec 72 hôpitaux désormais labellisés, même si sa diffusion se heurte à la pénurie de personnels formés dans les maternités françaises. (à suivre)
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