Quel est l’intérêt de vos recherches pour les femmes?
Je ne suis pas sûre que les troubles de la sexualité féminine ne se soignent que par la psychanalyse ou la psychothérapie. Lacan affirmait: « La femme n’existe pas. » Ça a été très mal compris. Ce qu’il voulait dire, c’est: « La jouissance de la femme n’existe pas parce qu’elle n’est pas localisée dans un organe. » Masters et Johnson, eux, ont écrit: « 90% des problèmes sexuels chez les femmes sont d’origine psychogène », mais ça fait 40 ans que ça n’a pas été remis en question ! Nous, en médecine, on classe en cause psychogène quand on ne trouve pas, a fortiori quand on ne cherche pas... Or, un or gane, ça fonctionne, ça dysfonctionne, ça aune pathologie, etc. Pourquoi le clitoris, qui est un organe à part entière, ne connaîtrait-il pas, lui aussi, des dysfonctionnements ? C’est complètement aberrant, ces résistances. En Afrique, on le mutile; en Occident, on l’ignore...
Vous plaidez aussi en faveur des hommes...
Je suis pour un humanisme équitable; moi, je n’aimerais pas être un homme. En ce qui concerne la sexualité, ils ont tout sur les épaules, ils doivent draguer, envoyer des fleurs, inviter, ils ne savent même pas s’ils vont conclure et ensuite ils se demandent: « Vais-je tenir mon érection ? La faire jouir ? Est-ce qu’elle ne simule pas ? » Il faut leur dire et leur redire qu’ils ne sont pas les seuls responsables de la jouissance des femmes. J’entends des bêtises comme : « Il n’y a pas de femmes qui ne jouissent pas, il n’y a que de mauvais amants... » Mais c’est faux ! Il y a des hommes qui font tout bien et ça ne fonctionne pas... On fait comme si tout venait du phallus : vous vous rendez compte de la pression pour l’homme ?
Vous écrivez que la sexualité est un domaine de la médecine comme un autre.
Ecoutez, je reçois des dames qui, sous prétexte qu’elles ont la soixantaine et qu’elles sont veu ves ou divorcées, me confient que la sexualité, c’est fini ! Et moi, je les pousse à sortir, à aller à des thés dansants, à faire des rencontres. Je leur lance : « Je veux vous savoir avec un ami l’an prochain ! » Et parfois elles y vont.
C’est un peu comme si elles avaient l’autorisation de la médecine. Certains de mes collègues ne veulent pas entendre leurs patientes parler de sexualité, ils se justifient: « Les histoires de cul, j’en veux pas... » Mais ça fait partie intégrante du boulot. Hélas, un étudiant en médecine n’entend jamais parler de médecine sexuelle pendant son cursus. Or, un homo sapiens, ça fait l’amour, c’est ainsi, il faut faire avec. Une souffrance d’origine sexuelle n’est pas moins glorieuse qu’une souffrance articulaire, cardiaque... Un humain doit être écouté, entendu.
Vous finissez votre livre par cette paraphrase de Sénèque: « Quand nous, les femmes, nous aurons désappris à espérer, nous pourrons enfin apprendre à vouloir. »
Je veux dire qu’il nous faut exiger une médecine du corps de la femme et pas seulement l’espérer. En France, on ne forme plus en gynécologie médicale, certains actes qui étaient réalisés par des gynécologues le sont maintenant par des sages-femmes (poser un stérilet, par exemple). On recule sur les lois de bioéthique; en ce qui concerne les adolescentes, on a le taux d’IVG le plus important d’Europe ; on est mauvais en éducation sexuelle; la recherche en médecine sexuelle féminine est presque inexistante ; et bientôt on n’aura plus d’accès à une médecine spécialisée pour les femmes... Or, le cabinet du gynécologue était un endroit où les femmes pouvaient se soigner et se confier. Elles n’auront pas forcément envie de raconter leurs histoires intimes à un petit jeune de 25 ans qui n’y connaît pas grand-chose faute de formation adéquate. En 2020, deux médecins sur trois seront des femmes... et je pense que les femmes doivent se battre pour les femmes !
PAR CECILE ABOESSELAM
* Qui a peur du Point G ?, éd. J.-C. Gawsewitch.