Naturisme Margaux Cassan, Suite
Politiquement, vu d'assez loin, le mouvement parait être un repaire d'anciens soixante-huitards et de leurs enfants. Le naturisme porte-t-il à gauche ?
. . . . . J'ai longtemps cherché la réponse à cette question. C'était le cas dans les années 1970-1980, désormais c'est beaucoup plus flou. Les naturistes se montrent bien sûr méfiants vis-à-vis des institutions, mais je ne suis plus sûre que ce soit aujourd'hui une caractéristique davantage présente chez les gens de gauche que de droite.
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Vous dites pourtant que l'ennemi majeur du naturisme reste l'ascension sociale Plus on est riche, moins l'on se déshabille ?
. . . . . Si les naturistes ont commencé à se déshabiller, c'est parce qu'ils se sont dit que ce serait la meilleure façon de faire se côtoyer le grand bourgeois et l'ouvrier. C'est le vêtement, souvent, qui fait autorité en créant une distinction sociale. De toute façon, l'idéal naturiste est loin d'être bourgeois. C'est celui de la sobriété, de la vie au grand air, du camping.... Voilà sans doute pourquoi nous souffrons d'une sorte de mépris de la classe. Mais il incarne également la suite logique de l'anarchisme, de l'écologie, du féminisme.
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Voilà désormais le naturisme canal historique pris en étau entre ringardise et libertinage. Vos naturistes, que vous décrivez « ventre en brioche, sandales de cuir et pétanque », ne sont-ils pas quand même les cousins des nudistes du cap d'Agde ?
. . . . . Ils n'ont rien à voir. Le principe même de la nudité est la recherche d'invisibilité dans le groupe. Or la société elle-même confond nudité et sexualité. Les nudistes libertins ne font qu'accessoiriser leur corps pour en faire un objet de désir.
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Les deux camps pourtant semblent à la recherche du plaisir et d'une certaine liberté ?
. . . . . Chacun repose sur un socle de valeurs quasi opposées. Le naturisme permet notamment que toute forme d'activité collective puisse être pratiquée avec les enfants. C'est un exercice familial, déchargé de toute ambiguïté, où l'on croise ainsi parents, grands-parents, oncles et tantes. La chose est complètement désexualisée.
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En niant au corps nu le droit d'être un bel objet de désir en somme. Or vous reconnaissez aussi qu'il s'agit parfois d'une posture hypocrite...
. . . . . Affirmer qu'il n'y aurait pas de sexualité dans les villages naturistes n'a pas de sens. En revanche, ce n'est pas la nudité qui y crée une ambiance sexuelle. Souvent, d'ailleurs, on s'habille en soirée pour ensuite faire naître le désir en se déshabillant. Je connais même un centre où le directeur a fait installer des cabines pour se dévêtir, et ne pas ainsi exposer ce moment à tous.
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Le naturisme, ce serait aussi accepter de voir son corps vieillir, pour ne pas dire s'enlaidir. Lutter artificiellement contre les affres du temps reste considéré comme un péché ?
. . . . . Ce n'est pas forcément mal vu, mais généralement on ne le fait pas. Ce n'est pas chez les naturistes que vous verrez des seins refaits par exemple, et longtemps même l'épilation fut taboue. Répétons que ce mouvement familial est en quête de naturalité, être une grand-mère avec un corps de grand-mère n'a donc rien de grave.
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« Ce n'est pas chez nous que vous verrez des seins refaits. Être une grand-mère avec un corps de grand-mère n'a rien de grave »
Les naturistes, justement, sont vieillissants. La faute dit-on à cette cohabitation de plus en plus mal perçue entre enfants et adultes nus. Le mouvement est-il condamné ?
. . . . . C'est le risque, en effet. je ne m'attendais pas à ce que le sujet crispe à ce point, et c'est un euphémisme vu les retours que j'ai de mon livre. Mais bon, dans les années 1970 déjà le mouvement intellectuel n'était pas très à l'aise avec la nudité, voire franchement hostile comme Françoise Dolto. J'ai pourtant le sentiment inverse : vouloir à tout prix couvrir un enfant, c'est presque supposer qu'il peut être un objet de désir... C'est assez tordu. Nous avons sans doute un regard anachronique et déformé sur les pseudo-libertaires de cette époque où la société avait déjà des idées très arrêtées sur le sujet. C'est d'ailleurs pour cela que le naturisme a toujours été une contre-culture.
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Dans un registre plus estival et à demi-naturiste, le topless tend à disparaître des plages, alors même que les bas de maillots sont de plus en plus minimalistes. Un paradoxe ?
. . . . . De la même façon que ce haut de maillot que l'on garde ne cache presque plus que les tétons. C'est bien la preuve que le vêtement érotise. Aujourd'hui, vous voyez même des ados porter des strings à la plage, ce qui est quand même beaucoup plus évocateur qu'un corps nu.
. . . . . La pudeur, qui n'est que coquetterie, va de pair avec l'hypersexualisation. Face à ces corps de plus en plus huilés, épilés, tatoués, percés avant d'être mis en scène sur les réseaux sociaux, où est vraiment l'impudeur ?
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(1) « Vivre nu », de Margaux Cassan, éd. Grasset, 216 p. 19 €