Dans le cadre de mon travail, je rappelle que je suis aidant social auprès de personnes âgées, il m'arrive d'accompagner une personne à intégrer une maison de retraite, un foyer-logement ou une résidence pour personnes âgées (RPA). Depuis 2012, j'assure le suivi administratif d'un monsieur, plutôt jeune par rapport au reste de la population que je côtoie. Sylvain (ce n'est pas son vrai prénom) n'avait que 66 ans en 2014. Mais voilà : il vit seul et depuis qu'il a pris sa retraite en 2009, il se sent de plus en plus isolé. Il n'a jamais été marié, ni pacsé, ni vécut avec quelqu'un, homme ou femme. Il n'a pas d'enfant, du moins pas officiellement... Alors, il a instruit auprès de notre service, une demande d'entrée en maison de retraite. Son dossier est difficilement acceptable du fait de son âge, dira la directrice d'un premier établissement, étant donné que la moyenne d'âge pour ce type d'hébergement se situe plus vers les 80/82 ans !
Au bout d'une année, le service parvient à trouver ce qui pourrait convenir à Sylvain. Christine, ma chef, me confie la mission de mener l'admission à son terme. Sylvain me connait bien, j'ai travaillé avec lui, et pour lui, un bon moment. Cette entrée en maison de retraite se fait sur sa demande.
Le dossier est accepté par la direction d'un énième établissement (on a dû en solliciter une bonne demi-douzaine). Avec l'accord de Christine, j'accompagne Sylvain visiter son nouveau lieu de vie qu'il intégrera dans quelques jours, une dizaine, tout au plus. La gouvernante nous conduit dans les communs, les jardins de la maison, et finit par nous faire visiter la chambre que va occuper Sylvain, actuellement en travaux de rénovation. Ce délai d'entrée servira bien Sylvain, qui doit donner congé de son logement actuel. Pour la petite histoire, Sylvain, depuis que je le connais, habite dans un ... hôtel sans confort.
La maison de retraite, les jardins, l'établissement, en général, plaisent beaucoup à Sylvain, et il signe le contrat d'admission. Il a une retraite confortable qui lui permet de régler les frais de séjours sans trop de difficultés.
Je voulais prendre congé de Sylvain et retourner au service, quand il me propose de venir avec lui, dans son hôtel pour l'aider à préparer quelques affaires, déjà. Il est un peu stressé, et il hâte de quitter cet endroit. Je préviens Christine de mon retard, et Christine me donne le feu vert pour l'accompagnement de Sylvain.
Nous voilà, quelques minutes plus tard (Sylvain est parfaitement valide et il peut encore se déplacer en métro/bus/tram... sans problème) dans sa chambre d'hôtel, nichée au 5ème et dernier étage du bâtiment. Je suis choqué en franchissant la porte : il y a ici, un fatras phénoménal. Aucun ordre, tout est empilé, entassé... Bien que Sylvain m'ait invité à m'asseoir, j'avoue ne pas avoir trouvé d'endroit où poser mes fesses. La chambre est vaste, mais tout espace libre est occupé par des sacs poubelles, remplis de vêtements, de matériel de cuisine...
Je finis pas prendre place sur le rebord du lit, défait. Draps et couvertures sont enroulés et chiffonnés... Sylvain me dit :
- Ne vous en faîtes pas, je vais jeter une bonne partie de tout ce qu'il y a là, et dont je n'aurai pas besoin là-bas. Si vous voulez bien m'attendre, je vais prendre une douche, c'est le seul moment où il n'y a pas foule.
Sylvain n'attend pas mon accord (à quoi aurait-il servi, d'ailleurs ?), et il se penche, se cabre, se met même à genoux, pour rechercher dans les sacs des vêtements frais à se mettre. Il me dit aussi qu'il va 1 fois par semaine à la laverie automatique pour y laver son linge, mais il ajoute aussi, que l'ordre et lui, ça fait deux.
Et Sylvain me laisse, les douches de l'hôtel étant à l'extérieur de sa chambre, au fond du couloir. J'attends son retour, immobile. Je n'ose pas bouger de là où je suis.
Retour de Sylvain, une petite dizaine de minutes plus tard. Il s'est enveloppé dans un peignoir de bain, et me dit, que pour ne pas me retarder outre mesure et libérer les lieux (il parlait de la douche), il a fait très vite. En effet !
Sylvain reste debout face à moi, chantonne un air connu de lui seul. Et une fois sec, il laisse tomber son peignoir à terre, ne le ramasse même pas et se présente totalement nu devant moi. Forcément, puisqu'il vient de sortir de la douche.
Je suis gêné, je détourne mon visage et fait mine de ramasser son peignoir pour ne pas regarder la nudité de Sylvain. Mais il me reprend :
- Laissez ça où il est. Un peu plus, un peu moins. Et soyez pas offusqué, je me ballade toujours à poil ici.
Il termine sa phrase en se regardant dans le plus simple appareil, dans le grand miroir qui garnit, seul, sa chambre.
Et Sylvain, toujours tout nu, se remet à fouiller dans les sacs pour trouver de quoi s'habiller. Ce qui lui prend 1/4 d'heure environ. J'ai tout fait pour ne pas le regarder, mais Sylvain m'interrogeait sans cesse, et, étant bien élevé, j'ai répondu à ses questions en lui faisant face, contraint de le regarder se vêtir. Et Sylvain a commencé par les chaussettes, puis un débardeur. Il n'a mis son boxer qu'après, juste avant d'enfiler son pantalon.
L'effet de surprise passé, il me demande des conseils sur ce qu'il peut emporter en maison de retraite. A part le mobilier qui appartient à l'hôtel, Sylvain n'a presque rien à lui. Il m'assure de faire " le ménage " dans ses affaires, trier, jeter ce qui est hors d'usage... Il va faire don de sa vaisselle à une association, etc... Il veut aussi emporter quelques papiers importants, ce que je comprends... il va faire le tri dans tout ça, m'assure-t-il.
Je prends congé de Sylvain, après lui avoir fait part de ma mise à disposition en cas de besoin.
Vingt jours plus tard, il me rappelle : il entre ce jour en maison de retraite, et tient absolument à ce que je l'accompagne. Christine me donne son accord, et me voilà devant la grille de son nouveau lieu de vie. Sylvain n'a rien avec lui, me disant en vérité, qu'il n'intégrera la maison de retraite que le lendemain. Aujourd'hui, il doit voir le médecin de cette maison, et il tenait à ce que je sois présent. C'est pour cela, me dit-il, qu'il n'a pas de bagage avec lui, il a laissées ses affaires en consigne à l'hôtel, dans lequel il passera sa dernière nuit ce soir.
Nous entrons, arrivons dans la salle d'attente du médecin, qui est une jeune femme. Je laisse Sylvain entrer, lui assurant que je l'attends dans la salle d'attente. Mais il me dit :
- Si vous n'entrez pas avec moi, j'annule tout.
Sa réflexion n'admettait pas de réplique. Le médecin, Ornella, tente de lui faire d'avis, Sylvain campe sur ses positions.
Je tente à mon tour de lui expliquer que je n'ai pas le droit de connaitre les secrets médicaux des personnes que nous suivons... Sylvain ne veut rien savoir et fait même signe de partir.
Finalement, Ornella fait contre mauvaise fortune bon cœur. Elle me fait entrer avec lui, et m'installe de façon à ce que je ne vois pas ce qui se passe de l'autre côté du cabinet médical (la table d'examen étant derrière mon dos).
Ornella interroge Sylvain sur ses antécédents médicaux, les traitements en cours et note ce qu'il lui dit. Puis, Ornella demande à Sylvain d'aller au fond de la pièce, de se déshabiller et de monter sur la table.
Je reste face à la chaise vide d'Ornella, qui s'est levée pour examiner Sylvain.
Sylvain m'interpelle :
- Venez près de moi, monsieur.
Je refuse. Il insiste.
- Si vous ne venez pas, je m'en vais. Je m'en fous de cette visite médicale. J'annule tout, et je retourne à l'hôtel.
Je lui réponds que je suis là, présent, avec lui, mais Sylvain me veut vraiment près de lui. Ornella me fait un signe d'approbation de la tête, et je me tiens près de Sylvain, qui pousse un soupir de soulagement.
Ornella examine Sylvain, qui est allongé en boxer sur la table. Ornella semble un peu tendue, mais ne dit rien. Elle fait son travail, ausculte, écoute le cœur, prend la tension de Sylvain. Puis, elle lui fait faire quelques mouvements avec ses membres. Elle le fait asseoir et respirer par la bouche pendant qu'elle place son stéthoscope sur son dos, par endroit. Elle teste aussi les réflexes. Tout va bien, finit-elle par dire.
Elle retourne à son bureau, tout en priant Sylvain de ne pas se rhabiller encore. Elle me fait signe de venir vers elle, et me dit qu'elle va examiner les parties de Sylvain. A moi de trouver un prétexte pour ne pas être présent.
Je pense que Sylvain n'a rien entendu : il nous a vu marmonner, chuchoter... Il est inquiet. Je reviens vers lui, et lui dit que je dois m'absenter pour aller aux toilettes. Sylvain est d'accord, mais... interdit à Ornella de poursuivre son examen pendant mon absence. Ornella et moi échangeons un regard qui en dit long, et je me suis entendu dire :
-Çà peut attendre encore quelques minutes.
Ornella demande alors à Sylvain de retirer son boxer, ce que Sylvain fait sans aucune hésitation, puis dit à mon adresse :
- Monsieur m'a déjà vu à poil. Çà ne me dérange pas. Et vous, vous être toubib. Alors...
Et Ornella agit très professionnellement : je ferme les yeux pour ne pas trop en voir, mais un moment, j'ai souhaité être à la place de Sylvain, surtout qu'Ornella est très jolie, sexy. L'examen ne dure pas longtemps, Ornella s'est dépêchée, me semble-t-il, pour ne pas me laisser dans une position délicate plus longtemps.
Ornella retourne à son bureau et permet à Sylvain de se rhabiller, ce qu'il fait en... venant tout nu près de nous pour se rhabiller intégralement !
Ornella donne son accord de médecin pour l'entrée en institution, entrée qui s'est faite effectivement le lendemain, vers 15 h. Cependant, j'ai demandé à Christine de ne pas accompagner Sylvain en lui expliquant pourquoi. Et, comme je l'ai déjà dit, Christine est très prude, elle a compris ma position. Sylvain est entré en maison de retraite accueilli par l'équipe d'animation et le personnel médical et para médical.
Il y est toujours, a fait sa place dans ce monde, et je ne manque pas de passer le voir, quand je le peux. Il ne se promène plus tout nu, même dans sa chambre, dans laquelle il dispose d'une douche individuelle et de toilettes personnelles aussi. Sa chambre n'est plus du tout encombrée, il a fait le ménage dans ses affaires. Son logement est bien tenu, propre, et est un peu plus grand que sa chambre d'hôtel.
Depuis qu'il est là, il s'est fait des amis, chante, joue de la guitare (ou presque), se met souvent du côté des animateurs... Bref, il est très bien et il se sent très bien. Je crois que notre service a réussi sa mission.