28 février 2022
. . . . . . . . . . . COVID LONG, ON AVANCE.• • •
Il toucherait plus d'un million de personnes en France. Comment l'identifier, le traiter ? Réponses de spécialistes.
PAR LISE BOUILLY
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. . . . Lorsque, en mars 2020, Pauline Oustric*, 28 ans, contracte le Covid-19, elle vit et travaille en Angleterre. « Trois semaines après les symptômes initiaux, je déclare une poussée de fièvre avec un épuisement impressionnant - des difficultés pour marcher, pour parler - et de fortes migraines, jusqu'au moment où je ne parviens plus à me lever de mon fauteuil. Ensuite, pendant six mois, j'enchaîne les douleurs cardiaques, pulmonaires, les problèmes digestifs, cutanés, des malaises et toujours une extrême fatigue, à tel point que je dois être rapatriée en ambulance en France. » Ces symptômes à foison - on en recense une cinquantaine -, fluctuants, touchant différents organes, variables d'un individu à l'autre, constituent le tableau clinique du Covid long.
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Pas de lésions pulmonaires
. . . . « Selon la définition de la Haute Autorité de santé, on parle de Covid long quand les troubles perdurent encore quatre semaines après le début de l'infection symptomatique, qui s'est le plus souvent déclarée sous une forme légère à modérée », explique le Dr Jérôme Larché, médecin interniste à la clinique Clémentville, à Montpellier. D'autres pathologies ou séquelles doivent être éliminées. Par exemple, il faut faire la différence entre des difficultés pulmonaires résultant d'un Covid sévère et un essoufflement au moindre effort lié au Covid long, « la plupart du temps sans lésion pulmonaire ou cardiaque », précise le Dr Nicolas Barizien **, médecin du sport et rééducateur, chef du service de médecine et de réadaptation à l'hôpital Foch, à Suresnes. « Un mois après le début de la maladie, environ un tiers des patients infectés par le Covid-19 présentent des symptômes persistants ; trois mois après, entre 10 et 15 % des patients sont concernés », observe le Pr Eric Guedj, chef du département de médecine nucléaire de l'AP-HM, à Marseille. Le profil des victimes du Covid long ? Des personnes jeunes, de 20 à 50 ans, sans comorbidité, et le plus souvent des femmes (deux tiers des malades).
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La piste inflammatoire
. . . . A ce jour, il est encore trop tôt pour affirmer que le variant Omicron peut entraîner un Covid long. Si cette pathologie est bien reconnue par la communauté scientifique, ses causes restent à l'étude. On évoque notamment des atteintes inflammatoires et des troubles immunitaires (anticorps dirigés contre soi) engendrés par le virus, lors de la phase aiguë de la maladie ou après coup, qui affectent différents organes dont le cerveau. Ainsi, chez les malades, des travaux menés par le Pr Guedj et son équipe ont montré, par des examens d'imagerie cérébrale (PET scan), un ralentissement du métabolisme énergétique des neurones (qui consomment moins de glucose) dans des régions en lien avec les symptômes constatés. « Les atteintes portent sur le bulbe olfactif, qui traite les informations olfactives, détaille le Pr Guedj, mais aussi sur les régions cérébrales qui lui sont connectées : l'amygdale, impliquée dans la régulation des émotions ; l'hippocampe, siège de la mémoire ; et le tronc cérébral, qui contrôle le système nerveux autonome (adaptation cardio-respiratoire à l'effort et au repos, régulation thermique, digestion...). Et plus les anomalies cérébrales sont sévères, plus les troubles cliniques sont prononcés et nombreux. » Ces atteintes inflammatoires semblent transitoires. Fait rassurant, « la plupart des patients récupèrent après quelques mois », constate le spécialiste. Le Covid long est donc réversible. Mais la question des malades présentant un « Covid très long », malgré les stratégies de rééducation et de récupération mises en place, reste toujours en suspens.
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Une prise en charge globale
. . . . Des symptômes qui persistent plus d'un mois après l'infection nécessitent de. consulter au plus vite. L'enjeu ? Poser le diagnostic du Covid long après un bilan complet - une fatigue isolée n'est pas forcément un signe de Covid long. A la clinique Clémentville, par exemple, le patient se voit proposer une prise en charge globale et pluridisciplinaire. « Pour ceux qui ont connu l'errance diagnostique durant des mois, nous avons mis en place une journée et demie de bilan pluridisciplinaire (avec cardiologue, neurologue, scanner, IRM...), qui offre une vision aussi exhaustive que possible de la situation », indique le Dr Larché. A la clé, une reconnaissance de la maladie et un parcours de soins structuré, en lien avec le médecin traitant (voir encadré fin d'article ; où s’adresser). Au-delà de la prescription de médicaments pour apaiser les douleurs, la tachycardie... l'accent est mis sur des séances de rééducation : kinésithérapie cardio-respiratoire pour traiter-l'essoufflement, rééducation neurocognitive avec un orthophoniste...
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« La plupart des patients récupèrent après quelques mois. »
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Réapprendre à respirer
. . . . A l'hôpital Foch, à Suresnes, le Dr Barizien a élaboré le programme Réhab-Covid, qui s'inspire des processus de réadaptation après un cancer ou un accident. Au programme : un recondi-tionnement à l'effort individualisé et progressif, sur huit semaines, supervisé par un kiné. Objectif : réapprendre à respirer, car les réflexes ne se font plus. « Selon les symptômes, les patients peuvent aussi être suivis par une diété-ticienne experte de la perte de poids (induite par une éventuelle perte de goût), un orthophoniste (en raison des troubles de la concentration et de la mémoire), etc. En complément, des séances d'autorééducation - olfactive, entraînement physique progressif... -à effectuer chaque jour chez soi sont conseillées. La régularité étant essen-tielle pour progresser », assure-t-il.
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Plus on traite tôt, mieux c'est
. . . . Mais qu'attendre d'une telle prise en charge ? « C'est encore un peu tôt pour se prononcer. Nous constatons des améliorations partielles. Les patients qui restent symptomatiques sont souvent malades depuis le début de la pandémie et n'ont bénéficié d'un suivi que depuis avril 2021. Or la précocité du diagnostic et de la prise en charge est essentielle », insiste le Dr Larché. Aujourd'hui, Pauline Oustric va mieux, même si elle ne peut pas encore reprendre un rythme de vie normal. « Ce qui m'aide ? Des bêtabloquants pour la tachycardie, la kinésithérapie respiratoire et le "pacing" [une méthode qui consiste à identifier ses limites et à fractionner ses activités] pour éviter la fatigue et les malaises qui surviennent après l'effort. » Et, bonne nouvelle, des données récentes montrent qu'un schéma vaccinal complet permet de diminuer de 50 % le risque de développer un Covid long.
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* Cofondatrice et présidente de l'association #ApresJ20 Covid Long France (apresj20.fr).
** Auteur, avec le Dr Laurent Uzan, de : Covid long, comment s'en sortir, Marabout, un ouvrage qui reprend le programme d'autorééducation proposé à l'hôpital Foch.
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OÙ S'ADRESSER ?
. . . . Ne cherchez pas sur Internet. Les centres spécialisés dans le Covid long n'y sont pas répertoriés. Il n'en existe qu'une dizaine en France. « Mais cela évolue, les ARS [Agences régionales de santé] mettent en place des parcours de soins », reconnaît le Pr Guedj. Autrement dit, il faut commencer par s'adresser à son médecin traitant qui, informé par l'ARS, orientera vers tel ou tel hôpital, ou vers un kiné ou un orthophoniste exerçant en libéral.
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