Les études de Marie-Jeanne
Toussaint triste
Toussaint triste
Marie-Jeanne revint chez sa famille pour la Toussaint. En effet, les enfants de madame Granlean devaient passer avec leur descendance, et toutes les chambres devaient être disponibles.
Marie-Jeanne passa au garage prendre des nouvelles. Le patron était plutôt content des affaires. Quant à Jean-Louis, il était plus sombre et lui fit comprendre qu’il désirait lui parler en tête à tête en dehors des horaires de travail. Rendez-vous fut pris pour le soir.
Jean-Louis et Marie-Jeanne s’entretinrent tout en marchant. Jean-Louis expliqua que sa prudence dans ses relations avec Michel s’était relâchée, de sorte que les parents du jeune homme avaient eu des doutes. Le père de Michel était venu faire un scandale au garage. Jean-Louis s’était demandé s’il allait être renvoyé ; heureusement le patron du garage ne souhaitait pas se débarrasser d’un excellent mécanicien pour une « affaire de braguette ». En tout état de cause, il lui était impossible de revoir son jeune amant, qui avait pris un emploi dans un autre garage de la ville.
Marie-Jeanne lui rendit visite. Michel était à la fois heureux et embarrassé de revoir la jeune femme. Lui aussi demanda à parler seul à seule après le travail. Il lui confirma que ses parents avaient eu vent de sa liaison avec Jean-Louis, avaient fait un scandale et lui avaient interdit de revoir son amant.
« Et s’il n’y avait que cela…
— Qu’y a-t-il, Michel ? Tu sais, tu peux tout me confier. »
Michel était embarrassé. Ils s’assirent tous deux sur un muret dans un terrain vague de la zone industrielle.
« Mon père… mon père m’a battu à coup de ceinture, en se moquant de moi en disant que puisque je semblais vouloir montrer mes fesses aux hommes, il allait me les faire sentir afin de me faire passer l’envie. Mes parents ont dû ensuite discuter… et ma mère m’a amené chez le médecin. Elle lui a expliqué que j’avais été victime d’un pédéraste et voulait savoir si j’en avais eu des dommages. Je n’oublierai jamais cet examen.
— C’est horrible… »
Michel en avait les larmes aux yeux. Marie-Jeanne le conforta :
« Michel, je ne veux pas ranimer de mauvais souvenirs. Mais parfois, il vaut mieux en parler plutôt que de garder pour soi. C’est à toi de voir.
— Hé bien… Le médecin m’a fait enlever le bas. Il a commencé par me regarder le sexe, pour voir si j’avais attrapé des maladies… il a essayé de me tirer la peau sans succès, c’était douloureux. Il m’a demandé si j’avais déjà eu des irritations ou infections là. Il a appelé ma mère et lui a expliqué, en lui faisant la démonstration, que j’avais un phimosis et que cela pourrait peut-être me poser des problèmes par la suite, mais qu’il ne voyait rien de plus à ce niveau. Ma mère a demandé si on pouvait faire quelque chose, il lui a répondu « une petite opération qui lui dégagera le gland ». Ma mère ne m’avait pas vu nu depuis l’enfance et là j’étais le zizi dans la main du médecin qui me tirait dessus devant elle…
— C’est terrible !
— Puis il m’a fait mettre à quatre pattes, m’a écarté les fesses et regardé l’anus. Il a passé un gant et m’a longuement sondé du doigt… puis m’a mis un instrument pour regarder l’intérieur.
— Quelle horreur ! Heu… ça faisait mal ?
— C’était désagréable mais, enfin, tu sais, il mettait de la Vaseline et j’étais habitué à plus gros. Mais surtout c’était devant ma mère !
— Quelle horreur, vraiment. J’ai entendu parler de pareilles choses avant… Il y a deux ans, une amie, un peu plus vieille que moi, elle venait d’avoir 18 ans, a été surprise avec un garçon. Sa mère l’a battue puis traînée chez le médecin pour vérifier sa virginité, si elle était enceinte, si elle avait des maladies. Comme toi, examen au doigt puis avec un instrument. En fait elle était encore vierge et ça lui faisait mal et elle protestait, mais le médecin n’était pas convaincu et sa mère lui disait d’arrêter sa comédie. Elle l’a d’ailleurs battue au retour du médecin. »
Mai 68 et la révolution sexuelle n’étaient pas encore passés, il faudrait encore 7 ans pour que le président Giscard d’Estaing initie la réforme abaissant l’âge de la majorité à 18 ans… et en attendant certains parents et certains médecins veilleraient à maintenir l’ordre moral.
Les deux jeunes gens se turent un temps, devant l’horreur des témoignages échangés. Puis Michel reprit.
« Après ça, il m’a regardé dans la bouche. Ma mère était surprise, mais il a expliqué que les pédérastes utilisaient également cet orifice et que parfois on voyait des irritations. Après, il m’a fait me rhabiller. Son diagnostic était que j’avais probablement été sodomisé, mais qu’il ne voyait pas de dommages ou de signes de maladie. On ferait des analyses, de toute façon. Il est revenu sur le phimosis et lui a conseillé de me montrer à un chirurgien urologue. »
Michel prit une inspiration.
« Au retour à la maison, ma mère m’a demandé si j’avais pris la verge du « pédéraste » dans ma bouche. Je ne savais que répondre. Elle m’a dit que c’était vraiment dégoûtant une chose pareille, peut-être pire que la mettre dans le derrière… et m’a lavé la bouche avec du savon pour me punir.
— Oh non ! »
Michel avait vidé son sac. Ils ne pouvaient d’ailleurs pas traîner plus longtemps… la mère de Michel surveillait maintenant les horaires de son fils afin de décourager les « mauvaises fréquentations ».
Marie-Jeanne dormit mal les nuits suivantes. Quelle horreur ! Comment pouvait-on imposer cela à ses enfants ! Et ce médecin ! Mais elle-même devait aussi se méfier de ses parents : si sa relation avec madame Granlean venait à être découverte, que se passerait-il ? Certes, ses parents souscrivaient probablement à l’idée que deux femmes ne peuvent pas faire grand-chose ensemble, mais il y avait le risque, outre de la séparation, qu’on lui interdise de poursuivre ses études. La prudence était de mise, et elle se dit qu’elle devrait notamment bien surveiller la façon dont elle parlerait de sa logeuse, afin de ne pas donner de signe que leur relation dépasse la cordialité de celle d’une « dame de compagnie ».
Elle fut soulagée de revenir à la ville de ses études.