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Vues: 927 Created: 2013.02.18 Mis à jour: 2013.02.18

La prison des femmes

Chapitre 3

Débarrassée de ses derniers vêtements, Coralie n’est plus protégée que par cette infâme couverture qui la couvre à peine.

Devant elle, le lieutenant lui lance des regards noirs. La gardienne est tout aussi froide lorsqu’elle ramasse les haillons déchirés que sont devenus ses bas et son porte jarretelle.

Le lieutenant se penche sur le document qu’il tient à la main, et lui signifie sa mise en garde à vue. Le sang de Coralie se glace. Que lui reproche-t-on ? Elle devrait se révolter, mais elle est trop atterrée de ce qui lui arrive, trop abattue pour prononcer un mot.

Le policier vient de lui donner la date et l’heure du début de sa garde à vue. Il a dit mardi.

- On est mardi ? c’est ça que vous avez dit ? dit-elle d’une voix faible.

- Oui, c’est ça.

Les derniers souvenirs de Coralie remontent à vendredi soir. Elle était dans son appartement, elle se rendait dans ce club de jazz … et ensuite ? Qu’a-t-elle fait pendant quatre jours ?

- Je suis restée inconsciente combien de temps ?

- Les questions, ici, c’est moi qui les pose.

La réplique classique. Elle aurait du s’en douter.

- J’ai le droit à un coup de téléphone.

- Non. On n’est pas en Amérique ici. Mais vous avez le droit de me demander de prévenir quelqu’un de votre placement en garde à vue.

- Mon mari, évidemment.

- Quoi ? Qu’est ce que tu as dit ?

Le tutoiement. La nudité. Le bruit. Leurs regards. Tout est fait pour rabaisser le prévenu. Coralie est consciente du mécanisme, mais trop affaiblie pour pouvoir lutter. Contacter son mari. Prévenir son mari. Sortir de là. A tout prix. D’une voix plus forte, avec un regard qu’elle essaie de se fabriquer assuré, elle répète

- Mon mari. Je veux qu’on prévienne mon mari. Lucas Neuville, au 06 ……

Le policier nota le numéro consciencieusement de téléphone du mari de Coralie, un grand sourire lui barrait le visage.

- Les putes ont des maris, maintenant ?

- Quoi ?!

Coralie est furieuse d’être insultée de la sorte. Jamais on ne lui avait parlé comme ça, jamais. Mais elle est loin d’être en position de riposter. Elle commence petit à petit à regrouper ses esprits, et si dit qu’il est probablement préférable, dans sa situation, de faire profil bas. Aussi choisit-elle un angle d’attaque un peu différent.

- Vous croyez que j’ai besoin d’un avocat ? De quoi suis-je accusée ? Qu’est ce qui s’est passé pendant ces quatre jours ?

- - ça fait beaucoup de questions. Mais comme je suis de bonne humeur, et que tu es bien mignonne, on va aller parler de tout ça dans mon bureau.

Coralie frissonne en voyant la gardienne s’approcher d’elle, faisant teinter une paire de menottes, avec un mauvais sourire.

- Je lui mets les pinces ?

- Evidemment

La femme en uniforme passe derrière Coralie, lui tire les bras dans le dos, sous la couverture, et lui entrave les poignets.

- Mais … vous ne pouvez pas… comment vais-je …

- Ta gueule. Tu nous suis, ce n’est pas très loin.

La couverture tout juste posée sur ses épaules, les mains menottées dans le dos, Coralie se courbe, rentre le ventre, les épaules, pour autant qu’elle le peut, refermer devant elle l’unique rempart entre sa pudeur et la concupiscence de ses geôliers.

A peine a-t-elle fait un pas en dehors de la cellule de garde à vue que son sang se glace. Elle va devoir traverser un long couloir, de part et d’autre duquel sont alignées des dizaines de cellules, toutes ou presque occupées. Des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux…. Les regards s’allument à son passage, les cris fusent. On l’appelle, on la raille. Des mots vulgaires, obscènes.

Coralie essaie de faire le vide, d’ignorer ces regards brillants. Mais elle a peur. Terriblement peur de ce qui lui arrive. Elle tente de marcher droit, le carrelage est sale et froid. Elle se concentre pour cacher le maximum de son corps sous cette frêle protection qu’est la couverture, mais elle a l’impression que derrière elle, la grosse gardienne va tout faire pour qu’elle se retrouve toute nue devant ces prisonniers.

Elle va marcher sur la couverture, ou bien elle va la bousculer … et puis une fois qu’elle sera nue, ils vont ouvrir les cellules, et la livrer à cette faune infecte …

Mais heureusement, rien de tout cela n’arrive ailleurs que dans le cerveau affolé de Coralie.

Elle tente de garder la tête froide, elle essaie d’imaginer ce qu’elle va dire à son mari lorsqu’il arrivera.

Des excuses ? Pourquoi des excuses ? C’est lui qui a déserté le domicile conjugal précisément le jour de leur anniversaire de mariage. C’est lui qui a une maitresse…

Oui, mais c’est elle qui lui a laissé ce message sur son répondeur. Juste avant d’aller chercher un gigolo dans une boite de jazz.

Elle en est certaine, il va falloir qu’elle fasse de sérieux efforts pour se rappeler ce qui s’est passé dans cette soirée. Elle n’en doute pas un seul instant, c’est la clé de sa libération. Ça et l’avocat que son mari lui procurera.

Bon sang, même s’il va coucher ailleurs, elle reste son épouse. La mère de ses enfants.

- Assied-toi là.

Le lieutenant lui désigne une chaise juste devant son bureau. Une vraie caricature de bureau de flic de série policière produite par France Télévision : une surface vide, un téléphone, un écran d’ordinateur et un dossier.

Coralie s’assied doucement. La couverture qu’elle avait réussi à garder sur ses épaules jusque là glisse le long de ses bras et elle se retrouve complètement dévoilée. Instinctivement, elle serre les jambes et rentre ses épaules sur le devant en penchant sa tête en avant, tentant désespérément de cacher ses seins avec ses cheveux.

Mais c’est peine perdue. Ils sont beaucoup trop petits.

Le policier se rince l’œil sans se cacher. Il est beau garçon, dans d’autres circonstances, Coralie l’aurait trouvé charmant. Attirant. Mais en ce moment, elle le trouve abject. Il passe sa langue sur ses lèvres, et ses yeux disent clairement toutes les obscénités auxquelles il pense. Ses yeux s’attardent sur la poitrine de Coralie, qui pousse un petit cri, comme si il l’avait touché, et puis son regard descend lentement sur son ventre plat, sur ses cuisses.

- Ecarte !

Coralie n’en revient pas de ce qu’il lui demande. Elle secoue la tête, elle dit non. Tout son corps dit non.

- Allez, fait pas ta vierge. On sait tous les deux le métier que tu fais. Tu écartes gentiment, ou on se lance dans une fouille en règle. Tu préfères quoi ?

Elle respire difficilement, et sent les larmes monter à ses yeux. Mais elle ne veut pas pleurer. Surtout pas. Elle ne veut en aucun cas montrer de faiblesse à cet odieux personnage. Elle va se laisser faire, et puis elle portera plainte quand le moment sera venu. Parce qu’un tel traitement est indigne, et contrevient certainement à tout un paquet de lois sur les droits des hommes et des femmes…

Elle se redresse bravement, fixe avec fureur le policier droit dans les yeux, et lentement, imperceptiblement, écarte les cuisses devant lui.

- Et bien voilà. Tu vois que tu es une bonne petite pute. Bon. On appelle ton … ton quoi déjà… Il fait mine de se pencher sur son dossier … ah oui. Ton mari.

Il compose le numéro, et Coralie se gonfle d’espoir. Son calvaire va bientôt prendre fin.

- Allo ? Oui, Je souhaite parler à M. Lucas Neuville. Oui…. Enchanté. … Ici le lieutenant Gallois, du SRPJ…. Oui… SRPJ… Nous avons interpelé une personne qui prétend être votre épouse…. Oui…. Elle est là, devant moi…. Une jeune femme d’environ 35 ans. Châtain clair, yeux brun, cheveux raides, mi longs, environ 1m68, 62 ou 63 kilos. …. Meurtre… Bien…. Parfaitement…. Bien…. Je m’en doutais…. Oui. Vous pouvez me la passer ? Merci… Bonjour Madame … Vous pouvez me confirmer que vous êtes Mme Neuville…. Excusez-moi de vous avoir dérangé…. Au revoir, Mme Neuville.

Coralie n’en crois pas ses oreilles. Apparemment, le policier vient de parler à son mari, et … et c’est tout ? Et il a dit « meurtre ». Et il a fait une description d’elle tellement … froide. Un avis de recherche n’aurait pas été plus chaleureux. « retrouvé cadavre nu. Une jeune femme d’environ 35 ans. Châtain clair, yeux brun, cheveux raides, mi longs, environ 1m68, 62 ou 63 kilos ».

Elle voudrait être morte. Elle avait mis tellement d’espoir dans ce coup de fil.

- Alors. Si tu me disais comment tu t’appelles …

- Je m’appelle Coralie Neuville.

- Faux !

- Mais …

- Arrête avec ça, maintenant. Je viens d’avoir le type dont tu prétends être la femme. Il me dit que ça fait des mois que tu le harcèles et que tu veux te faire passer pour sa femme. Mais il est déjà marié, M. Neuville. Et c’est pas avec toi. Sa femme, je viens de lui parler au téléphone.

- Mais c’est faux ! C’est grotesque ! C’est un complot ! Une machination !

Coralie panique et s’emporte, oubliant sa tenue. Elle se lève en se débattant, les bras toujours liés dans le dos, remuant les épaules et les hanches.

- Il me trompe depuis des mois, mais c’est moi sa femme, c’est moi la vraie madame Neuville.

Et puis elle se laisse tomber sur sa chaise d’un coup, se rendant compte du ridicule de sa situation et surtout que tout ce qu’elle dit ne fait que la faire passer pour une folle et confirmer les mensonges de son mari.

Le salaud. Elle pleure en silence et n’arrive plus à penser avec cohérence.

- Je veux retourner en cellule. Je veux être seule.

Pour l’instant, il n’y a que ça qui la soulagerait. Être seule. Ou morte. En tout cas ne plus être ici, dans ce commissariat. Devant ce policier pervers qui ne comprend rien à rien.

Il se lève et change de ton.

- Bon. On n’arrivera à rien comme ça.

Il s’approche de Coralie qui ne peut réprimer un mouvement de recul en le voyant se pencher sur elle. Il ne va quand même pas la tripoter ? Il approche son visage du sien jusqu’à presque le toucher. Elle peut sentir son parfum bon marché qui peine à masquer son odeur de transpiration. Il respire bruyamment, comme s’il voulait aspirer ses cellules odorantes. Les particules invisibles qui se dégagent d’elle à chaque respiration. Elle déglutit avec difficilement. S’il reste plus longtemps aussi près d’elle, elle va vomir, c’est certain.

Il se penche encore et fini par remonter la couverture sur ses épaules.

- Couvre-toi, tu es indécente.

Elle lui en serait presque reconnaissante, s’il n’arborait pas ce petit sourire satisfait. Elle le sait pertinemment, à partir de cet instant, chacune des récompenses, chacune des menaces qu’elle va recevoir seront des effets calculés dans le seul but de la faire craquer, de lui faire avouer … un meurtre !

C’est tout ce qu’elle sait de cette affaire au centre de laquelle elle se trouve. Elle est au milieu d’un tourbillon incontrôlable. Monstrueux. Elle est nue, menottée, reniée par son mari. Elle ne peut pas être plus bas. Sa situation ne peut pas être pire. Elle doit s’accrocher à quelque chose. Au plus ténu des espoirs. Elle doit comprendre, elle doit faire confiance en la police et en la justice. La vérité triomphe toujours. Le bien est toujours victorieux. C’est elle la victime. C’est d’elle qu’on doit prendre soin.

Le policier compose un numéro interne et fait venir un collègue.

- Je vais te chercher de quoi t’habiller, et ensuite on va tout se dire. D’accord ?

Coralie répond par un petit oui en reniflant.

- Voilà. C’est mieux. Tu vois, tu es une bonne fille. En attendant, je te laisse sous la surveillance de l’agent Rivière.

Au même moment, un policier en uniforme entre dans le bureau du lieutenant Gallois qui la désigne d’un geste du menton et lui dit :

- Tu me la surveilles, qu’elle ne fasse pas de connerie. Et toi non plus, tu fais pas de connerie. D’accord ? Ce n’est pas parce que tu es puceau, que c’est une pute et qu’elle est à poil que tu as le droit d’en profiter. Pigé ?

Coralie est à nouveau atterrée par les paroles du policier. L’ascenseur émotionnel n’arrête pas de faire des montées et des descentes vertigineuses. C’est sans doute une technique supplémentaire pour la faire craquer. Elle ne sait pas et ne veut pas savoir. L’agent a l’air d’être un gentil garçon, aussi gêné qu’elle par les propos de son supérieur. Qui sait. Elle pourra peut être le faire parler pendant l’absence du lieutenant, et apprendre quelques informations sur son … son affaire.

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clyso Il ya 4 ans