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Vues: 1141 Created: 2013.02.18 Mis à jour: 2013.02.18

La prison des femmes

Chapitre 2

Un mal de crâne épouvantable vrille le cerveau de Coralie. Elle a froid, elle a mal partout, elle est engourdie. Elle est posée sur une surface froide faite de béton et de bois nauséabond, emballée dans une couverture de grosse laine grise. Quelle heure peut-il bien être ? Quelle importance cela peut-il avoir ?

Coralie a la bouche pâteuse, le front pesant. Elle peine à ouvrir les yeux et dans un premier temps, ne reconnait pas les images qu’elle perçoit.

Des bruits autour d’elle. De l’eau qui coule. Quelqu’un qui tousse. Des hurlements au loin.

Elle gémit à chaque mouvement esquissé.

Que s’est il passé entre le moment où elle est entrée dans son ascenseur et maintenant ?

Au plafond, la rampe de néons clignote. Du béton. Un enchevêtrement de tuyau. Des bruits sourds. Il fait froid. Quelqu’un pleure.

Coralie se tourne sur le coté, et comme vers un refuge, un cocon rassurant, sombre à nouveau dans l’inconscience.

Les yeux fermés, elle entend et parvient à analyser l’environnement sonore. Quelqu’un. Une femme parlant avec un accent assez vulgaire, des intonations de bas quartier, réclame un avocat. On lui répond de la fermer. Les mots sont ponctués par des sons violents, qui résonnent désagréablement aux tempes de Coralie.

Elle pousse un petit cri. Coralie vient de s’apercevoir qu’elle était nue, juste emballée dans la couverture qu’elle resserre sur sa poitrine. Nue, à part son porte jarretelle et ses bas blancs, pour autant qu’elle puisse en juger.

Ou est-elle ? Que fait-elle ici ?

Elle se redresse, cligne des yeux et tente d’accommoder sa vision pour distinguer enfin qu’elle est entourée de béton crasseux. Elle est dans une cellule. Toute petite. Juste pour elle toute seule. Trois murs de béton et une porte métallique obturée par une vitre de plexiglas rayé. Un bas flanc sur lequel elle était allongée en chien de fusil. Elle est seule. Toute seule. Mais elle devine qu’autour de sa cellule il y en a d’autres, occupées par des femmes, comme elle. Elle ne distingue aucune voix masculine. La lumière blafarde ne lui permet pas de savoir l’heure qu’il est. Si c’est le jour ou la nuit.

Au bruit, elle dirait que c’est la nuit. L’ambiance est … différente de la journée ; Encore qu’elle ne sache absolument pas quelle est l’ambiance de ce lieu lorsque le soleil est levé. C’est la première fois qu’elle se trouve dans cet endroit.

Elle s’adosse au mur de béton couvert de graffiti. L’un deux proclame que Nikky nique les flics.

Coralie en déchiffre quelques uns en haussant un sourcil.

Elle n’ose pas poser les pieds par terre. Le sol … Poser le regard dessus est déjà au dessus de ses forces. De ce qu’elle a pu apercevoir, il est constitué d’une épaisse couche de crasse sombre, constellé de taches éparses et luisantes, pouvant aussi bien être du sang, que du vomit, des déjections…

Coralie ferme les yeux et passe la main sur son front.

Petit à petit, elle reprend ses esprits. Elle revient à elle. En elle.

Qu’est ce qui s’est passé ? Comment est elle arrivée là ?

Elle n’en a aucune idée. Sa tête la fait horriblement souffrir. Son ventre aussi. Et ses bras. Elle se sent poisseuse. Sale.

Tout à coup, une terreur la saisit. Elle a peut être été violée. Elle a peut être été enlevée par un malade, enfermée dans une prison dont elle ne sortira qu’après avoir subi les pires outrages. Si jamais elle en sort.

Elle ne sait pas pourquoi elle pense ça. Ça la fait paniquer. Littéralement.

Elle ouvre la couverture pour y glisser un regard et avoir la confirmation de ce qu’elle pensait : elle n’est vêtue que de son porte jarretelle. Ses bas sont déchirés en plusieurs endroits, filés. Ses pieds ne sont plus blancs. Les louboutins ne sont plus là.

Son ventre se tord et elle a envie de vomir.

Que lui est il arrivé ?

Elle voit passer un uniforme devant la grille de sa cellule et bondi de sa couche, se dénudant maladroitement en marchant sur sa couverture qu’elle ramasse d’un geste pour s’en couvrir.

La femme en uniforme bleu foncé lui lance un regard froid avant de lancer à la cantonade :

- Elle est réveillée !

Coralie panique, tremble, se précipite…

- Madame, madame, dites-moi où je suis, s’il vous plait. Ce doit être une erreur. Je ne devrais pas être ici.

- Ça ma grande, tu l’as dit : personne ne devrait être ici.

Elle ne s’arrête même pas pour lui parler et disparait du champ de vision de Coralie qui se jète contre la porte transparente

- Madame, Madame ! Je dois sortir d’ici !!

Un concert de cris et de hurlements lui répond, et Coralie voit avec effroi qu’elle est dans le couloir de ce qui semble être une prison, avec des dizaines de cellules aux portes desquelles des dizaines de femmes lui lancent des invectives grossières, des injures, des moqueries …

- Qu’est ce qu’elle veut celle-là ?

- Non mais vous l’avez vu les filles !

- Quelqu’un la connait ?

- Elle tapine dans quel secteur ?

Sur la droite, un bureau, des fenêtres grillagées, des policiers hilares … Coralie se recule brusquement pour ne plus voir ce cauchemar. Elle est dans une prison !

Elle entend des bruits de clés, des bruits sinistres de serrures qui s’ouvrent et se fermes. Encore des cris. Toujours des cris. Jamais de silence.

Prostrée dans un angle de sa cellule, elle est terrorisée. Coralie essaie de se boucher les oreilles en appuyant très fort sur ses tempes. C’est douloureux. Un bleu lui couvre le coté gauche du visage. Elle a peut être même un coquard.

Mais que lui est il arrivé ?

Impossible de se rappeler.

Il ne faut pas qu’elle panique, sinon elle n’arrivera à rien. Elle respire, essaie de faire le vide dans sa tête. De chasser ses angoisses, et de remonter le cours du temps.

Quel est son plus vieux souvenir ?

L’ascenseur. Elle entend le téléphone sonner. Elle suppose que c’est Lucas. Peu importe que ce soit lui ou pas. Elle entre dans l’ascenseur, et elle est bien décidée à se payer un gigolo pour le week end.

Une de ses amies lui avait parlé d’un bar, pas loin de chez elle, en réalité. Un club de jazz où elle rencontrait parfois des hommes qui n’avaient rien contre le fait de tarifer leurs services. Des hommes jeunes, beaux, qui ne posaient pas de question. Des hommes endurants, expérimentés.

Des hommes qu’on pouvait oublier aussi rapidement qu’on les amenait entre ses bras.

Elle avait voulu prendre un taxi, mais la rue devant son immeuble était déserte.

La rue. Quelle rue ? Comment s’appelle-t-elle ? Quel nom ? Saint quelque chose …

Ah oui. La rue Saint Hyacinthe. Dans le premier.

Et le bar ? Le club ? Comment s’appelait-il ?

Le baiser sucré ?

Oui. C’était ça : le baiser sucré.

Elle avait marché jusqu’au baiser sucré, où elle n’était encore jamais allée, malgré la proximité.

Ses talons claquaient dans le soir déclinant. La faune pseudo artistique qui peuple le quartier était doucement en train de se déliter pour laisser place à une population de touristes en quête de frisson maitrisé.

Elle se souvient de l’affiche. Tribute to Eddy Rosner.

La femme en uniforme revient devant sa porte. Elle fait tinter à sa main un trousseau de clés, et fourrage dans la serrure pour ouvrir la porte. Derrière elle, se tient un homme en civil, jean et col roulé de laine. Brun. Ténébreux. Un dossier à la main. Un regard doux. Coralie se dit qu’il vient la libérer, que ce n’est pas possible autrement.

Elle se lèvre, essuie ses joues tout en essayant de ne pas lâcher sa couverture, se redresse, tente de faire bonne figure. Un sourire ? Un regard ? Implorer ? Jouer la séduction ? L’outrage ?

Elle ne sait quelle attitude adopter face à cet homme qui semble être celui qui a le pouvoir de faire ouvrir sa porte. La femme en uniforme l’appelle « lieutenant », ce qui confirme bien l’hypothèse que Coralie se trouve dans un poste de police, vraisemblablement dans l’une des cellules de garde à vue, installée comme c’est souvent le cas, au sous-sol du commissariat.

Le lieutenant reste dans l’encadrement de la porte, les mains sur les hanches, les sourcils froncés. Il n’a vraiment pas l’air commode. Ni aimable. Coralie renifle un peu. Elle est au bord de fondre en larme. Enfin le type se décide à parler et se met à hurler sur la pauvre gardienne qui semble n’en avoir rien à faire.

- Mais vous êtes débile ou quoi ?

La femme ne répond pas et se contente de se gratter la joue en balançant son regard bovin d’un coin à l’autre de la pièce, passant sur Coralie sans la voir.

Coralie qui s’est mise debout, maintenant, le cœur gonflé d’espoir. Ce policier va la sortir de là, il a compris, lui, qu’elle n’était pas là où elle devait être. Qu’il y a une erreur, une regrettable erreur. Qu’ils vont lui présenter des excuses, qu’ils vont la raccompagner chez elle, que ce cauchemar va prendre fin.

Elle esquisse un sourire, envoie un regard qui semble dire au policier ne soyez pas trop dure avec cette femme, elle n’a fait qu’obéir aux ordres, elle n’est peut être pas responsable de cette méprise…

Et puis d’un coup, son corps se glace, le sang reflue en elle.

Le policier la pointe du doigt et hurle

- Vous lui avez laissé ses bas et ses habits de pute ! Mais il ne faut vraiment pas être malin pour faire des conneries pareilles ! Vous cherchez à augmenter votre taux de suicide, c’est ça ?

Coralie ne sait plus ou se mettre et tente de bafouiller une défense, mais aucun son cohérent ne sort de ses lèvres.

Le flic continue de hurler et d’invectiver la gardienne qui fini par entrer dans la cellule et ordonne à Coralie de se déshabiller complètement.

Sans faire d’histoire.

Et plus vite que ça.