Boutons les hors de France

Chapitre 1

Paris, Ile de la Cité, 1814

Alors que les messagers et les coursiers chevauchaient entre l'Hotel de Saint Florentin ou se sont réunis les Alliés et Fontainebleau ou se trouve le futur ex Empereur Napoléon, penchons sur l'Hotel de Boissart-Caspellin

D'un style imité de l'Antique et doté d'un jardinet à la Le Nôtre, la belle demeure était le séjour de la famille Boissart-Caspellin.

Le père, Anselme, de petite noblesse désargentée avait réussi à faire son chemin dans la France troublée née sur les cendres de la Révolution, en devenant vice-secrétaire d'un ancien capitaine corsaire des guerres napoléoniennes. Sans enfants, le capitaine avait légué a son ancien officier de plume le fruit qu'il avait récolté de ses prises de trois navires sucriers anglais capturés dans les Antilles. Avec cette fortune, Anselme avait pu fréquenter les salons, rencontrer sa chère Anne. Leurs fortunes étaient belles et leur amour sincère. Il en était né cette résidence, leur petit chateau, havre de paix pour élever leur unique fille Victoire-Constance, fêtant ses vingt ans.

Tiens, voila la calèche qui arrive. Victoire-Constance en sort :Rousse ,elle avait hérité d'une lointaine grand mère quelques traits irlandais, mêlés pourtant à une peau d'albâtre et des yeux verts qui faisaient rêver les jeunes premiers et les jeunes blondins férus du romantisme naissants.

Mais a vingt ans, elle était promise par son père à Edouard de Chalençon-Aubrécourt, fils du greffier en chef du Parlement de Paris et frère de loge de son père. De quoi permettre à Anselme de sécuriser sa place alors que, dans Paris, les tensions politiques allaient bon train, risquant d'amener des changements politiques majeurs....

Toute indifférente, Victoire Constance rentre. Sa vieille gouvernante Marie, percluse par la goutte, peine à la suivre...et ne se fait pas prier pour le rappeler.

- Mademoiselle ! Aurais je l'outrecuidance de vous rappeler moi je n'ai plus vingt ans

- Pardonnez moi, Marie.....Mais je suis quelque peu fatiguée

- Allons bon, railla la vieille fille, Fatiguée vous? A votre âge? Après avoir joué au croquet avec Mademoiselle de Breil ! C'est bien amusant ça ! Moi mademoiselle, a votre âge

- Oui a votre âge, vous étiez troussée par quelque sans-culotte...ou quelque “bleu” royaliste, je sais!

- Petite insolente !

La jeune effrontée reçut sans broncher le coup d'éventail de sa duègne.

- Vous verrez quand Monsieur votre père aura vent de votre insolence !

- Monsieur mon père me pardonne tout...et vous le savez, vieille chouette !

Les deux femmes se fusillièrent du regard en silence car un valet de pied venait de récupérer leurs affaires. Puis, elles cheminèrent vers la chambre de Mademoiselle.

Monsieur de Boissart-Caspellin avait fait prévenir qu'il était en affaires....Personne n'était dupe que ses affaires l'amenaient plus dans les claques que dans l'antichambre des Ministères mais Madame fermait les yeux.....Sa langue, bien qu'active dans le lit conjugual, était clouée par la fortune de son mari. Et puis, les putains avaient ses bourses dans leurs mains, mais elle seule avait son coeur...et sa descendance.

Une fois la vieille Marie disparue dans son office, Victoire-Constance rejoignit sa chambre et se mit à son secrétaire. Saisissant sa plume, elle coucha sur le papier quelques vers de son cru, qu'elle adorait...avant d'être saisie d'un vertige nauséeux. Sa peau, naturellement pâle, devenait d'une blancheur de craie.

Elle se lève, flageolante, pour aller trouver Marie. Celle-ci, devant la pâleur de sa pupille ne put s'empêcher de la soutenir

- Fichtre Mademoiselle ! Avez vous vu le diable pour être si blanche?

- Je ne sais pas, Marie..je.....

Elle n'eut le temps d'en ajouter qu'elle s'effondra en se prenant la tête avec une grimace de douleur devant la gouvernante qui se mit a hurler.

Alors ce fut le branle bas : Madame Mère quitta précipitemment son boudoir, avertie par un domestique

L'homme a tout faire Jean, un costaud, et le valet de pied de Monsieur se saisirent de Victoire-Constance et l'allongèrent sur son lit. Marie alla chercher un flacon de vinaigre et aidée de Madame, déchaussa Mademoiselle qui pleurait, répétant “Ma tête! Ma tête ! J'ai mal! J'ai mal!”

La jeune femme avait des pieds gracieux : Doux et réguliers, son talon se courbait harmonieusement et ne présentait aucune crevasse bien que la plante avait quelque cors mais rien de grave. Habituellement, un bain de pieds au sel d'Epsom réglait cela.

Marie dévouée, se saisit du flacon et appliqua le vinaigre sur la plante. Madame l'imita.

Les doigts des deux ainées se promenèrent en cercles concentriques sur les chairs fraîches et rosées avant de remonter sur ses jambes, vivement frictionnées dans l'espoir d'attirer les humeurs vers le bas en dégageant la tête. L'odeur du vinaigre emplit la chambre mais personne n'en fut incommodé. Victoire-Constance était, malgré son caractère rebelle, appréciée de tous et surtout de sa mère, qui laissa la gouvernante et le valet poursuivre les frictions pour tâter son front. La jeune fille était à présent en pleurs et ne s'exprimait que par chouinements.

- Mon Dieu, la fièvre la prend.....

- Ses pieds...regardez ses pieds

Tous les voyaient: au départ immobiles, ils se mirent à trembler petit à petit comme une eau qui bouillait sur la flamme. Comme des vagues venant du bord pour rejoindre la plage, les tremblements de la fièvre remontèrent des pieds le long des cuisses pour enfin saisir tout le corps.

- Jean, faites chercher le docteur Ailette ! Ordonna Madame. Hubert, allez chercher de la glace !

Le valet de pied s'exécuta tandis que Jean disparut hors de l'hotel particulier des Boissart-Caspellin.

Madame et Marie s'efforcèrent de contenir et de calmer une Victoire-Constance à présent toute entière a sa douleur et à ses cris.

Lorsque Jean amena une vessie de glace et l'appliqua sur la tête de la jeune fille, celle-ci sembla reprendre son calme.

- Victoire....Victoire....

Sa mère saisit sa main brulante dans le but de l'apaiser. Son visage était d'une pâleur de craie et ses traits brouillés. Ses pieds, massés, avaient légèrement enflé. Du peu que Marie connaissait de la médecine, c'était une accumulation d'humeurs.

Mais la glace semblait calmer la jeune malade. D'autres poches de glaces furent posées sur sa poitrine, son front, et a ses pieds.

Jean revint quelque temps plus tard avec le Docteur Aliette accompagné d' Anselme Boissart-Caspellin. Riche bourgeois, le médecin de la noble famille était lui aussi un frère de loge de Monsieur et il se murmurait que les deux grands amis partagaient autre chose que l'amour du jeu de whist.

Voyant sa fille alitée, le visage de Monsieur se décomposa, sa moustache rousse semblant tomber suivant sa grimace et il se jeta presque au genou du médecin.

- Mon ami ! Sauvez ma fille ! Sauvez la! Sauvez la!

- Sortez, Anselme. Madame aussi, avec mes compliments. Ainsi que vos gens !

Les membres de la famille obéirent et le médecin prit une siège pour s'installer au chevet.

- Pouvez vous me raconter comment vous êtes tombée malade...

- Je....je revenais d'une partie de croquet avec une de mes amies. Ma gouvernante m'a un peu disputée mais...j'ai mal à la tête.....Ca tourne, ça tourne, j'ai chaud j'ai froid.

- Vous avez envie de vomir? Des maux de ventre?

- Non.....Mhhh ma tête....J'ai mal...j'ai mal....

- Ouvez la bouche

Le médecin sortit de sa saccoche de cuir un petit thermomètre de verre qu'il tenta de placer sous la langue de la jeune fille...Mais celle ci tremblait de trop pour que l'instrument se maintiennent correctement. Puis elle retourna toute a ses cris, etouffés par un crispement de dents.

Alors le médecin appela la gouvernante et Madame.

- Madame, prenez sa jambe et maintenez la fermement sur le lit. Vous, prenez l'autre et agissez de même. Il faut prendre sa température rectale ! Vite !

Les deux femmes s'exécutèrent et plaquèrent les membres de la jeune fille sur le lit. Celle-ci, toute entière à sa douleur, se mit a hurler, comme saisie de vision

- Des rats! Des rats ! Partout ! Chassez les ! Chassez les !

Madame regarda le médecin, les yeux implorants.

- Elle délire...c'est la fièvre !

Alors sans hésiter, l'homme de l'art déculotta la jeune fille, exposant son intimité à l'air. Ses fesses galbées dansaient une gigue infernale mais le médecin arriva, tel un archer émérite, à planter l'instrument à travers le petit duvet naissant dans le trou agité de soubresauts et à l'y maintenir suffisament droit pour ne pas blesser la malade, l'accompagnant comme un bouchon flottant dans les vagues. La fièvre et le délire pompant ses forces, elle se calma du fait de l'épuisement mais le médecin ne put s'empêcher de faire une grimace en retirant l'objet de l'anus, sans preter attention aux particules brunes qui se collaient sur le verre.

- 41°C...du délire et des maux de tête...je craints l'odème cérébral ! Avez vous du gros sel?

Monsieur s'empressa d'en rapporter de l'office. C'était sans doute la première fois qu'il y mettait les pieds.

Pendant son absnece, le médecin tira de sa saccoche un petit flacon

- Une limace ! C'est une limace ! Grimaça la vieille Marie

- Une sangsue, bécasse ! Maintenez son pied droit en place. La plante des pieds vers moi.

La vieille duègne s'exécuta sous les cris de plus en plus rauques et fatigués de la patiente. Le pied, enflé et rougeatre, était fermement tendu même si des convulsions involontaires arrachaient des hurlements de douleurs à Victoire-Constance. D'un geste sûr, le médecin présenta la gueule de l'animal vers le talon et la gourmande petite hirudinée s'accorcha à la chair, commençant a sucer le sang pour dégager la tête de ses humeurs putrides. Il recommenca le procédé avec deux autres sangsues à la plante des pieds et au niveau des orteils.

- Les sangsues devraient l'apaiser....Dans....une demi heure vous appliquerez du sel sur le talon et les animaux tomberont de lui même. Je vais encore faire une injection à Mademoiselle pour faire baisser la fièvre et je repasserai demain matin. En attendant, continuez la glace sur le front et du bouillon de veau épaissi d'un roux pour seule nourriture.

- Merci mon ami !

Le ton de Monsieur était si reconnaissant qu'il semblait avoir vu la Vierge....chose qui arracha une grimace à Madame. Si seulement une telle reconnaissance s'exprimait sincèrement quand ils accomplissaient le devoir conjugual....

S'étant fait porter de l'alcool, le médecin prit un morceau d'ouate et desinfecta la fesse gauche. Remplissant sa seringue il procéda à l'injection, permettant à la jeune femme de tomber dans les bras de Morphée.

- Docteur...Est ce grave, l'odème cébéral?

C'était un coeur de mère qui s'exprimait...Mais c'était la voix de la gouvernante. Madame elle s'était éclipsée.

- Je...je ne peux pas me prononcer. Attendons demain.

- Jean, raccompagnez le docteur. Pardonnez moi mon ami mais j'ai a faire.

- Inutile cher Anselme. Allez auprès de votre épouse....

Le médecin prit congé. La jeune malade dormait à poings fermés, le front perlé de sueur. Les sangsues continuaient leur festin sur son pied.....

A suivre....