Bertrand
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Vues: 627 Created: 2020.07.06 Mis à jour: 2020.07.06

La danse du martinet

Part 3

En février 1973 la vie continuait entre mes études et les cours de danse.

Je n’accompagnais plus de cours public dans le 8e arrondissement, mais j’étais plus que jamais présent pour les leçons de la fantasque et sévère Marie-Thérèse. En effet, qui d’autre que moi pouvait jouer cette Danse du martine ? La mère avait besoin d’un pianiste pour apprendre à ses trois filles la danse classique, mais aussi pour les punir sur leurs jolis postérieurs.

Il y avait d’abord la croupe majestueuse de Marie-Agnès (un vrai derrière de femme !), ensuite les fesses à la fois fines et rebondies de Marie-Clémence, la seule vraie danseuse du lot, et enfin le popotin musclé de la sportive Marie-Odile, un peu trop musclé à mon goût. Voilà pour le tableau.

Ces corrections fessières étaient rares, au maximum une fois par mois, toujours justifiées et argumentées. Rien qui laissait transparaître un quelconque plaisir de punir pour punir. Marie-Thérèse fessait pour l’amour de la danse et du travail bien fait.

Elle montrait toujours des goûts aussi traditionalistes en matière artistique. Ainsi elle manifesta son indignation après avoir été avec ses filles à l’opéra voir un ballet qu’elle jugeait trop « moderniste ».

« Quelle horreur ! C’est toute la danse classique que l’on assassine ».

Puis, elle dit :

« Georges, mon mari, n’a pas aimé non plus »

Son mari ? C’était la première fois que j’en entendais parler !

Ce soir-là, le cours se déroula sans accroc et sans fessée, mais je notais un changement chez ma chère Marie-Clémence : j’avais l’impression qu’elle recommençait son petit jeu avec moi, me lançant des regards en dessous pendant ces mouvements, attitudes, adages, pliés, battements…

En rentrant du cours je mis la main dans la poche de ma veste pour prendre une cigarette lorsque je découvris un bout de papier chiffonné. Je le dépliai et là, surprise et émotion : Marie-Clémence me donnait rendez-vous prés de son école privée !

Le jour J je me rendis au lieu indiqué. C’était près d’une porte de l’établissement où apparemment ma jolie danseuse pouvait sortir de son école sans être vu. Lorsque je l’aperçus, elle me dit qu’elle avait une heure de pause et qu’elle avait trouvé un moyen de sortir de son établissement de façon discrète.

J’étais un peu gêné : n’avais-je pas participé à sa correction devant ses soeurs en jouant ma « Danse du martinet » ? Ainsi c’était un peu comme si je la fessais moi-même par mes doigts de pianiste, chaque accord martelé sur le clavier était pour elle un coup de martinet sur son postérieur. En même temps je n’avais pas envie de m’excuser et je préférais assumer mon rôle de participant aux fessées familiales jusqu’au bout.

Nous commencâmes à marcher dans la rue sans mot dire. Lorsque je m’aventurai sur une question qui m’avait intrigué au dernier cours, la gêne devenait de plus en plus perceptible.

« Votre maman a parlé de votre père l’autre jour. J’étais surpris car c’est la première fois que j’en entends parler. »

« Non, non, je vous arrête. Elle n’a pas parlé de mon père mais de son mari, c’est tout à fait différent ».

« Son mari n’est pas votre père ? »

« Ni même celui de Marie-Agnès ! Maman a eu trois filles avec trois hommes différents. Mais elle ne s’est mariée qu’avec George, le père de Marie-Odile, la cadette. »

Elle poursuivit :

« En fait, malgré ces airs de grandes dames, Maman n’a pas été toujours très sérieuse. »

Elle accompagna cette phrase irrévérencieuse d’un adorable petit sourire mâtiné d’un soupçon de friponnerie très XVIIIe siècle. Et ses grands yeux noirs ! J’avais envie de la croquer.

« En tout cas, c’est un très bon professeur, a t – elle été danseuse à l’opéra ? » lui demandai-je.

« Danseuse oui, mais au Moulin-Rouge ! Encore que quand George l’a rencontré elle n’y étais plus et elle dansait dans des lieux beaucoup moins prestigieux, si on peut appeler ça danser, d’ailleurs. »

Je ne voulais pas lui demander plus de détails.

« Pour Georges, nous sommes un peu de la mauvaise graine, il est sévère avec nous. »

Bigre ! L’était-il encore plus que Marie-Thérèse ? et sa sévérité se portait-elle également sur son épouse ? C’est ce que je croyais comprendre.

« Et vous, Il me semble que des trois vous êtes la plus passionnée par la danse, lui disais-je et, m’enhardissant : Vous êtes vraiment très expressive lorsque vous dansez. »

« C’est vrai ? Vous m’aimez… Heuh ! Vous aimez me voir danser ? »

« Oui, beaucoup ! »

Tout d’un coup, elle s’assombrit.

« Hélas, je ne serai jamais danseuse ! Comme vous pouvez le constater, je suis très brune, contrairement à mes sœurs. Mon vrai père est de Madagascar et à l’opéra de Paris ils ne voudront jamais d’une danseuse de couleur ! Ils sont racistes ! »

(Je précise que nous étions en 1973 mais je me demande si la remarque ne serait pas toujours d’actualité)

Je la consolais en lui disant que je n’avais jamais deviné ses origines exotiques et que plein de femmes sont aussi brunes qu’elle, ce qui est tout à fait exact.

« Vous pourriez être corse. » dis-je.

Son désespoir de ne pas devenir danseuse l’avait troublée, et moi avec. Deux larmes coulaient sur ses joues et je la trouvais encore plus ravissante !

« Et puis vous êtes beaucoup plus jolie que vos sœurs. »

Elle me sourit, je la pris dans mes bras et l’embrassai tendrement.

Nous sommes resté ainsi sans voir le temps passer. Puis nous nous dîmes adieu.

« Jurez-moi de rester au cours de maman, on vous adore ! Nous toutes ! »

Puis, avec un sourire craquant :

« Et continuez à jouer votre Danse du martinet ! »

À ce moment-là, nous étions serrés l’un contre l’autre et Marie-Clémence ne put que constater l’effet physiologique que cette phrase faisait sur moi.

Depuis ce jour, nous nous retrouvions régulièrement.

C’est quelques semaines plus tard que je fis la connaissance du « père/ beau- père » des trois grâces. Il était tel que je l’imaginais d’après les dires de Marie-Clémence : grand, avec beaucoup de prestance et d’autorité et pas mal imbu de sa personne. L’histoire un peu particulière de Marie-Thérèse et de ses filles lui avait valu l’opprobre de sa famille qui n’avait jamais accepté cette mésalliance. D’après Marie-Clémence, il semblait toujours les considérer comme des enfants perdues qu’il avait généreusement sorties du ruisseau.

Le cours venait de se terminer et nous parlions de choses et d’autres autour d’un scotch : Pompidou était-il malade ? que pensez-vous de la tour Montparnasse ?

« Jouez-moi donc cette Danse du martinet, cher ami, j’en entends parler depuis si longtemps ! »

Après m’être exécuté il jugea « l’œuvre » sans se départir de ce ton supérieur un peu agaçant :

« Mmh… Oui, c’est pas mal, mais un peu trop impressionniste à mon goût. J’aimerais quelque chose de plus viril, de plus rythmé. »

« Mais, mon ami, cela me convient tout à fait lorsque je donne la fessée à mes filles. » dit Marie – Thérèse pour me défendre.

« Je sais, je sais. Mais…, et avec un air encore plus prétentieux, comme dirait Lacan, je suis un père sévère, Ah ! Ah ! Ah ! »

Je me forçais à rire avec difficulté, je n’aimais pas beaucoup cet homme.

« Et quand je corrige mes filles ce n’est pas avec le martinet. »

Il continua :

« Voyez vous, Bertrand, mes filles sont bien trop grandes pour être fessées cul nu par leur père, seule leur mère a le droit de les déculotter. Moi quand je leur donne la fessée, Il faut que je compense par la force l’amortissement créé par les vêtements, la jupe, la culotte »

Il expliquait tous ces détails avec le ton d’un ingénieur décrivant le mécanisme d’une fusée pour aller sur Mars.

Les filles toujours en tenue de danse écoutaient avec sérieux. L’aînée était rouge jusqu’au bout des oreilles, elle rougissait facilement contrairement à ma chérie qui avait le teint mat. La mère au contraire arborait un sourire ravi : il y avait de la fessée dans l’air !

Celle-ci s’adressa alors à la malheureuse Marie-Agnès :

« Mais il n’y a pas que la force du bras pour compenser la protection des vêtements, n’est-ce pas Marie-Agnès ? »

« Oui… Père utilise un instrument bien plus cinglant que le martinet. La fessée paternelle est toujours donnée avec une fine badine qui concentre l’impact des coups contrairement au martinet. Même si je ne suis pas déculottée, la fessée est bien plus douloureuse. »

« Très bien, la leçon a été bien apprise. Mais à propos de fessée, n’avez-vous rien d’autre à dire ? »

« Si… c’est que… Enfin… Et elle ajouta avec une voix qui se fit tremblotante : Je vous ai répondu hier pendant le cours de danse. En fait je crois que je n’aime pas la danse, Marie-Clémence est faite pour la danse, mais moi je vois bien que je n’y arrive pas. »

« Ta ta ta, ce n’est pas là la question, il ne s’agit pas pour vous d’être faite pour la danse, mais de vous rendre plus gracieuse. Avez-vous envie d’avoir la démarche d’un camionneur comme votre cousine Béatrice, ce garçon manqué ? »

« Non, bien sûr, je… »

« Bientôt vous porterez des talons hauts, comment voulez-vous marcher avec aisance sur des talons aiguille ? »

Le beau-père ne lui laissa pas le temps de répondre et conclut d’un autoritaire :

« Donc vous devez continuer votre entraînement et ne plus me répondre. Et maintenant la badine ! »

Marie-Agnès partit chercher l’instrument du châtiment qu’elle tendit en baissant les yeux à son « beau-père sévère ».

« En position ! » dit-il.

Marie-Agnès toujours en justaucorps et pointes avança près d’une chaise, se pencha en avant vers celle-ci les bras croisés, jambes tendues, le dos bien cambré, les pieds juchés sur les pointes, son auguste postérieur bien épanoui.

« Et maintenant nous écoutons ce que vous avez à dire »

Marie-Agnès dit d’une voix hésitante :

« Je promets d’être bien sage en cours, de faire tous les exercices, les mouvements et les enchaînements avec application pour la préparation du grand ballet pour l’anniversaire de Beau-Papa. »

« Très bien, ensuite : »

« Je promets de tout faire pour être une bonne danseuse, non pas pour faire carrière mais pour me permettre d’être une vraie femme, contrairement à ma cousine Béatrice qui est un garçon manqué »

« Très bien, continuez ! »

« Je demande à Beau-Papa d’avoir la bonté de me corriger sans indulgence car plus que les mots, le fouet est le seul argument que comprend une danseuse. »

« Enfin vous devenez raisonnable ! »

Marie-Agnès reçut donc de beau – papa une trentaine de coups de badine bien appliqués. La malheureuse comptait avec de plus en plus de difficultés : « UN ! – DEUX ! – TROIS !

Le justaucorps ne devait pas tant protéger sa peau, celle-ci ne pouvant réprimer des cris vers la fin de la punition. « Vingt – six – Aaaaah ! – Vingt – vingt – seeept ! Ouille ! Que j’ai mal ! »

« Silence ! Sinon je recommence tout »

« Pardon. Vingt…euh, Aïe ! Pardon ! Vingt-huit ! Ouche ! Vingt-neuf ! Ouiouiouille ! Trente ! »

Après une mise au coin pour se remettre de ses émotions, Marie-Agnès présenta ses excuses les yeux embués de larmes et fit une révérence à son beau-père fouettard ainsi qu’à toute l’assistance avant de s’éclipser dans sa chambre afin de « réfléchir à sa faute », selon l’expression de sa mère.

« Avez-vous observé le rythme que j’ai imprimé à cette fessée, Bertrand ? J’aimerais qu’après la Danse du martinet, vous écriviez… »

« La Danse de la badine ? » répondis-je ?

« Vous avez tout compris ! Ce jeune homme est épatant ! Mais alors faites-moi quelque chose qui a de la force, du genre La chevauchée des Walkyries ! »

À ce moment j’imaginais Wotan à la fin de La Walkyrie fessant Brunehilde en lui disant :

« Tiens voilà pour toi ! ça t’apprendra à me désobéir, pour la peine tu seras endormie dans un cercle de feu ! Mais d’abord une bonne fessée ! »

Dommage qu’aucun metteur en scène d’opéra n’ait eu cette idée !

Mais d’abord j’avais un nouveau travail à faire, et mon mécène semblait beaucoup y compter.