Skylane
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Vues: 23069 Created: 2007.12.05 Mis à jour: 2018.12.07

Elodie

Elodie Ch. 1

Muriel regarde Elodie avec un grand sourire. Sa grande fille de vingt ans descend les escaliers et s'installe à la table du petit déjeuner. Elle est à peine réveillée, ses longs cheveux blonds sont en désordre et elle porte encore un pyjama rose délavé. Muriel est la maman d'Elodie et Thomas. Thomas est le petit frère âgé de dix ans. Ils vivent tous les trois dans une petite maison de la banlieue de Paris. Le père est décédé un an auparavant après un accident de moto. Ils ont tous du mal à surmonter cet événement, mais la vie suit son cours.

- Coucou Elodie, je vois que tu as passé une bonne nuit ma chérie. Oui maman, je suis vraiment contente. En plus on est samedi, alors on va faire du shopping comme prévu ?

- Oui, bien sûr, mais j'ai une autre surprise pour toi.

Pendant que sa fille la regarde avec des grands yeux ronds elle garde le silence un moment pour faire durer le suspens. Elle se prépare lentement une nouvelle tartine avant de parler.

- Nous ne sommes pas partis en vacances depuis longtemps. C'est vrai qu'on n'avait pas tellement la tête à ça. Et puis c'est cher ! Mais maintenant que le temps a passé, j'ai réellement besoin de me dépayser. Alors mon amie Sarah et son mari nous proposent de venir avec eux dans les Alpes la semaine prochaine. C'est génial non ? Ils peuvent nous héberger dans leur chalet la première semaine des vacances. En plus ils ont un fils et une fille qui ont à peu près le même âge que toi. - Tu sais que j'adore skier. Mais je n'osais pas réclamer un tel cadeau. Comment pourrais-je refuser ? En plus j'avais rien prévu d'intéressant pour les vacances.

- Tu ne devais pas voir Julien ? Il te plaît bien il me semble...

Elodie fronce les sourcils, plonge la tête dans son bol de céréales avec un air triste et finit par répondre que finalement il ne veut pas sortir avec elle. Elle commence à pleurer. Sa mère, très complice, essaye de la consoler et de lui remonter le moral en lui parlant de ces inoubliables vacances à venir. A ce moment, Thomas, le petit frère, et un ami qu'il a invité à dormir débarquent dans la cuisine. Muriel apprend tout de suite à Thomas qu'ils vont partir skier. Il saute de joie et fonce sur Elodie pour chahuter avec elle comme ils font d'habitude quand ils sont contents. Cette petite séance de "bagarre" avec son petit frère réussit, comme à chaque fois, à redonner le sourire à Elodie. Une fois le calme revenu ils terminent tous de manger dans la bonne humeur.

La journée se déroule à merveille et le shopping est plutôt orienté sports d'hiver. Elodie a déjà tout le matériel, mais elle craque quand même pour une nouvelle paire de lunettes de soleil. Il faut quand même soigner son look sur les pistes ! Elle a beau être timide, elle se sent en général plus détendue pendant les vacances. Elle compte bien faire fonctionner son charme et profiter au maximum de ses vacances. Après le dîner, les trois jeunes commencent un Monopoli sur la table du salon. Même Elodie qui n'a pas trop envie de sortir ce soir. Elle est encore triste de s'être faite rejetée par Julien. Pourtant elle voyait bien qu'elle lui plaisait et ils s'entendaient bien.

- Alors Elodie, tu joues ou pas ? On t'attend là ! - Oui, c'est bon, je réfléchis. - T'es plutôt en train de rêver, je vois bien que t'es pas dans le jeu. On arrête de jouer si tu veux ? - Tu dis ça parce que tu perds, c'est toi qui veux abandonner ! Mauvais joueur !

Pendant ce temps Muriel fait un peu de rangement et entre dans la chambre de sa fille. Soudain la vue du matelas et de la couette de "secours" situés sous le lit fait naître chez elle une nouvelle préoccupation. En effet, depuis la mort de son père l'année dernière, Elodie a quelques problèmes nocturnes. Elle fait souvent pipi au lit. Muriel réalise alors que les soucis d'Elodie vont être délicats à gérer pendant les vacances dans le chalet. Et depuis que ses problèmes ont repris, elle n'a jamais voulu dormir hors de la maison. Ces vacances vont être une première ! Elle avait le même souci quand elle était petite, mais elle l'a surmonté vers l'âge de dix ans. Aujourd'hui elle voit un psychologue pour essayer de régler le problème. En attendant un vrai résultat de la thérapie, les dégâts sont limités en utilisant des alèses qui protègent le matelas. Mais elle mouille encore son lit plusieurs fois par semaine. "Il va s'agir d'un problème très délicat à gérer pendant ces vacances. En plus il va y avoir du monde dans le chalet et il n'est pas sûr qu'elle ait une chambre pour elle seule. Il faut absolument que j'en parle avec elle dès demain. D'ailleurs c'est étrange qu'Elodie n'ait pas encore réalisé ça. C'est quand même la première concernée ! D'habitude elle refuse toujours et trouve un prétexte pour ne pas dormir à l'extérieur. Elle doit encore être trop préoccupée par son histoire avec Julien" ?

Finalement tout le monde se couche tôt ce samedi soir. Muriel n'a pas encore eu le courage d'aborder ce sujet avec sa fille. Elodie est vraiment très gênée par ses ennuis nocturnes et elle n'en parle presque jamais, même avec sa mère. Elle se contente de faire brûler de l'encens dans sa chambre pour masquer les odeurs et de faire tourner elle-même les lessives pour laver les draps. Elle espère juste, comme lui a dit son psychologue, que son problème va bientôt s'arrêter.

Elodie s'endort difficilement ce soir, elle est partagée entre l'excitation de partir skier la semaine prochaine et la tristesse de savoir qu'elle ne sortira pas avec Julien. Elle a l'impression de ne presque pas avoir dormi lorsqu'elle se réveille brusquement, grelottante, dans un lit trempé avec son pyjama qui lui colle à la peau. "Encore ! Mais c'est pas possible, j'en ai trop marre ! Ca ne va jamais s'arrêter ? Je suis vraiment trop nulle ! Pourquoi est-ce que ça m'arrive presque toutes les nuits" ? Elle se sent dégoûtante, alors elle se lève rapidement et file discrètement à la salle de bain. Comme à chaque fois elle prend une petite douche pour se laver. Par contre elle ne s'occupe pas tout de suite de nettoyer le lit pour ne pas perdre trop de temps de sommeil. "Il est 4 h. du mat, j'ai pas envie de faire une lessive maintenant. Je vais être trop naze demain si je ne me recouche pas maintenant. Je vais sortir le lit de secours". Elle se baisse pour attraper un deuxième matelas placé sous son lit. Elle le pose par terre à côté du lit. Il y a une couette propre déjà prête dessus. Comme elle a encore un peu froid elle enfile un pyjama et se replonge dans les bras de Morphée.

Le lendemain matin, vers 11h, Muriel veut réveiller sa fille. Elle est décidée à parler avec elle. Elle sait qu'Elodie n'aime pas qu'on entre dans sa chambre le matin. Elle frappe à la porte. Elodie se réveille sur le matelas posé par terre. Sa mère lui parle à travers la porte.

- Je peux entrer ?

- Non, s'il te plaît. C'est bon, je suis réveillée. - J'aimerais te parler. - Alors attends un instant, je sors de la chambre. - D'accord, rejoins-moi dans la cuisine.

Elodie se lève tout en se demandant ce que peut bien lui vouloir sa mère dès le réveil. Avant de sortir de la chambre elle ouvre la fenêtre pour aérer et allume un bâton d'encens. Elle descend ensuite vers la cuisine. Sa mère l'attend à la table du petit déjeuner. Les deux petits ont déjà fini de manger et ils ne sont plus là.

- Salut ma chérie, comment ça va ce matin ?

- Bien maman, ça va. - As-tu bien dormi ?

Elodie rougit un peu, baisse les yeux et répond :

- Moyen...

Et espérant changer de sujet elle ajoute :

- De quoi tu veux parler ?

La mère est aussi gênée que sa fille et commence :

- Justement, à propos des vacances au ski. Je ne sais pas si tu y as déjà pensé, mais tu risques d'avoir le même problème la nuit. Et j'ai peur que tu trouves ça très gênant.

Un blanc s'installe, Elodie ne répond pas tout de suite. Son visage se décompose et elle commence à sangloter.

- J'étais tellement contente de partir skier que je n'y avais même pas réfléchi... Je ne peux pas partir alors. Allez-y sans moi ! Je ne veux pas me taper la honte et de toute façon tes amis ne vont pas m'accepter comme ça. - Non attends ma chérie. Il ne faut pas que tu te mettes dans cet état. On peut trouver une solution. Je peux appeler Sarah, la mettre au courant du problème. On peut lui demander si tu peux avoir une chambre pour toi. Comme ça les deux enfants de Sarah ne seront pas au courant.

- Non surtout pas, ne lui dis rien, je préfère ne pas venir. Sinon ils vont tous se moquer de moi. Et je suis certaine qu'il n'y a pas la place pour que j'ai une chambre juste pour moi. - Du calme s'il te plaît ! On va trouver une solution. De toute manière on ne va pas partir sans toi.

- Non, je ne vais pas là-bas !

- Tu vas forcément pouvoir venir. Tu ne vas pas laisser ce petit problème gâcher ta vie. Et Thomas a tellement envie d'aller skier. Je ne peux plus lui dire que nous ne partons plus.

Muriel se tait et hésite avant de continuer. Elle a l'air pensive. Elodie culpabilise, elle ne peut pas faire ça à son petit frère. Le dilemme est pénible. Soit décevoir sa famille, soit se ridiculiser.

- Mais maman, pour qui ils vont me prendre là-bas ? Je ne peux pas y aller et me réveiller trempée à chaque fois.

- J'ai pensé à une solution. Ca me gêne de t'en parler, parce que je sais que tu ne vas pas aimer. Quand tu étais petite, tu détestais déjà quand on t'y obligeait. Je me rappelle d'une fois où tu avais neuf ans. Ton père et moi voulions que tu mettes une couche pour dormir chez tes grands parents. C'était au moment où tu commençais à ne plus avoir d'accidents la nuit. Tu as été si vexée que tu as boudé pendant une semaine ensuite.

- Quoi ? répond Emilie en devenant toute blanche. Elle aurait aimé se cacher sous la table.

- Tu sais, il existe d'autres protections que les alèses. Si tu es d'accord je peux me renseigner pour toi auprès de notre pharmacienne. Je demanderai des conseils sur les protections adaptées à ta situation. Pour que ton problème passe inaperçu pendant les vacances. Tu serais d'accord pour essayer ?

Elodie ne répond pas. Elle court se réfugier dans sa chambre en pleurant.