Vues: 300 Created: 2016.11.25 Mis à jour: 2016.11.25

Eudes et Johann

Chapitre 34

La semaine suivante se déroula calmement. Nous avions tous trouvés nos marques au pensionnat. Une seule « soirée branlettes » à signaler. Le vendredi matin, le maître d’internat informa tout le monde que nous étions punis et que nous serions absents jusqu’au dimanche. Il y eut des murmures dans le réfectoire.

À huit heures, nous étions sur le perron avec nos affaires. M. von Däniken nous donna une enveloppe avec le programme. Il nous recommanda de bien nous tenir et de ne pas faire de bêtises, et surtout de ne pas dire que nous étions punis. Une calèche arriva. Elle venait du château, elle était conduite par l’un de nos cochers. L’ancien soldat Franz en descendit également et me salua :

— Bonjour Monsieur, ravi de vous revoir. Nous serons à votre disposition tout le week-end, à part samedi entre dix heures du matin et huit heures du soir, nous avons une autre course à faire.

— Bonjour Franz, répondis-je, je suis aussi ravi de t’avoir en ma compagnie.

Il salua également Johann, nous montâmes et partirent. Je dis à mon ami :

— Le cocher est fiable, mais ne compte pas trop sur Franz, à moins que tu ne veuilles faire tous les lupanars de la ville pour le retrouver.

— Y a-t-il des hommes qui offrent leurs corps dans ces bordels ? Je ne pense pas. Où allons-nous ?

J’ouvris l’enveloppe, sortis le billet et le lui tendis, il le lut :

— À Fribourg. Tu le savais déjà ?

— Oui, mais je n’ai pas tous les détails. Je ne sais pas ce que sera la punition.

— À l’Abbaye d’Hauterive et au Couvent des Ursulines, demain à neuf heures. Dans un couvent de femmes ? Je ne comprends pas. Je me demande, a-t-on le droit de baiser dans un monastère ?

— Certainement pas.

— Est-ce cela la punition ?

— Nous verrons bien. Nous allons à l’abbaye car il n’est évidemment pas possible pour des hommes de dormir au couvent des femmes.

— Nous aurions pu dormir dans une hostellerie.

— Mon père m’a expliqué que l’Abbaye de Hauterive offre justement le gîte pour les pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle. C’est sur leur passage. Samedi soir, pour ton anniversaire, nous mangerons en ville et nous louerons une chambre pour quelques heures, afin d’être tranquilles. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que c’était ton anniversaire ?

— Je ne voulais pas que tu me donnes un cadeau, tu as déjà tant fait pour moi. Tu m’offres des études.

— Tu les mérites, j’ai constaté ces derniers jours que tu es bien plus intelligent que moi.

Johann rougit. Je poursuivis :

— Et je peux encore t’acheter un cadeau cet après-midi.

Je regardai le paysage. Il faisait beau, les arbres commençaient à jaunir, quelques nappes de brouillard ne s’étaient pas encore dissipées.

— Tu sais, Eudes, me dit mon ami, c’est la première fois que je me rends à Fribourg. Je n’ai pas l’habitude de voyager.

— Il faudra t’habituer, nous allons en Bavière l’été prochain. Ce n’est pas la porte à côté.

Nous arrivâmes en fin de matinée à l’Abbaye d’Hauterive. Elle me fit penser au pensionnat, ce n’était pas très dépaysant. Je sonnai et le frère hôtelier vint nous ouvrir.

— Que la force (NDA non) Que la paix du Seigneur soit avec vous, nous dit-il. Bienvenue, Messieurs.

— Bonjour, mon frère, dis-je. Est-ce bien comme cela qu’on vous appelle ? Nous ne sommes pas catholiques.

— C’est exact. Je suis le frère Joseph.

— Je suis Eudes, et voici Johann. Il vient juste de commencer à apprendre le français.

— Bonjour, Monsieur mon frère Joseph, dit Johann.

— Je vais parler allemand, je suis bilingue. Vous êtes bien les deux jeunes gens qui sont invités demain au Couvent des Ursulines ? La mère supérieure nous a informés de votre arrivée.

— C’est exact. Savez-vous pourquoi nous devons nous rendre à ce couvent ?

— Oui, c’est un secret de polichinelle, je ne vais pas vous le révéler. Venez avec moi, je vais vous montrer votre chambre.

Nous montâmes au premier étage, Franz et le cocher nous suivirent avec nos malles. La chambre était encore plus grande qu’au pensionnat, elle avait une dizaine de lits recouverts d’une couverture de laine brune. Seuls deux semblaient occupés avec des sacs posés dessus. Pas beaucoup d’intimité en perspective. La punition commençait.

— Le dîner va être servi. Il y a un réfectoire spécial pour les hôtes.

Nous redescendîmes au rez-de-chaussée. Nos domestiques ressortirent, ils dormaient dans un autre bâtiment qui leur était réservé. Je leur donnai rendez-vous à deux heures pour nous conduire en ville, située à quelques kilomètres de l’abbaye.

Le réfectoire avait de longues tables de bois. Seuls deux hommes étaient assis au bout de l’une d’elle. Par politesse, je leur demandai si nous pouvions nous joindre à eux, ils acceptèrent. Il se présentèrent : ils venaient de l’est de la Suisse, d’Amriswil, près du Lac de Constance. L’un devait approcher la trentaine, il était prêtre, il s’appelait David. L’autre était plus jeune, il s’appelait Jonathan.

Nous allâmes chercher le repas à un passe-plat. C’était vendredi, on nous servit du poisson avec des pommes de terre à l’eau, ainsi que des légumes. Toujours la punition. Nous fîmes plus ample connaissance en buvant un café.

— Vous allez à Saint-Jacques ? demandai-je.

— Oui, et vous ? me répondit le prêtre.

— Non, nous ne sommes là que pour dormir. Je dois vous dire que nous sommes réformés.

— Nous avons le même Seigneur.

— Et qu’est-ce qui vous pousse à accomplir ce long pèlerinage, si ce n’est pas indiscret ? continuai-je.

— Ce n’est pas indiscret, c’est cependant très difficile à expliquer.

— Je vais essayer, nous dit alors Jonathan. Nous nous sommes, comment dire, découverts une certaine attirance qui n’est pas compatible avec les idéaux de notre foi chrétienne. Nous sentions que les choses allaient déraper. Ce long chemin vers Saint-Jacques, avec toutes les souffrances physiques que nous allons endurer, va nous rappeler le vrai chemin que nous devons suivre, et ce n’est pas celui que nos corps nous imposent.

— Autrement dit, résuma Johann, vous vous aimez.

— On pourrait le dire comme cela, répondit David, si nous étions un homme et une femme, et si je n’étais pas prêtre.

— J’ai eu les même tiraillements, nous avoua Johann, lorsque j’ai réalisé que j’aimais les hommes. J’étudiais chez un pasteur, et je lui en ai parlé. Il m’a répondu : « Relis la Bible, Johann. Ce n’est pas l’amour entre hommes qui est interdit, c’est seulement l’acte de sodomie. Il y a bien d’autres manières de faire l’amour. » Réfléchissez avant de renoncer définitivement à vous aimer.

Je fus étonné par la déclaration de Johann, lui qui m’avait déclaré ne plus croire en Dieu. Le prêtre eut aussi l’air surpris. Jonathan continua :

— C’est trop tard, nous avons pris notre décision. Nous allons cet après-midi chez un artisan qui va nous… Excusez-moi d’être si vulgaire, cet homme est spécialisé dans ce genre d’opérations, il va nous percer le pénis pour nous mettre un anneau fermé par un cadenas. Cela nous empêchera de commettre l’irréparable. Beaucoup de moines font la même chose pour éviter les tentations.

— Vous êtes fous, nous dit Johann.

— Johann ne l’a pas dit très poliment, dis-je, je suis aussi d’avis que vous devriez reconsidérer votre décision. Comme vous l’avez deviné, nous sommes dans la même situation que vous et nous pourrions vous donner des conseils.

— Oui, nous dit le prêtre, c’est peut-être un peu extrême.

— Permettez-nous de vous conduire chez l’artisan, continuai-je, nous avons une calèche. Nous pourrons encore discuter en route. Ce sera aussi l’occasion d’acheter un bijou pour mon ami qui a son anniversaire demain.

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Woyzeck Il ya 7 ans  
clyso Il ya 7 ans