Vues: 352 Created: 2011.05.26 Mis à jour: 2011.05.26

Les bonheurs de Sophie

Chapitre 16

L’idée du corset plût pourtant au reste de l’équipage, contraindre Sandrine à marcher bien droit, à rester hyper cambrée comme un hippocampe en majesté et à affiner sa taille rallia immédiatement l’adhésion de ses amis. Chacun y trouvait ses avantages : Sophie était rassurée de voir sa rivale potentielle enfermée dans une cuirasse, Justine allait pouvoir materner son amie pour la consoler, Mathieu assouvissait ses tendances sado masochiste et Tom savourait d’avance la contrainte qu’on allait infliger à son ex petite amie qu’il vivait comme une vengeance.

Tout en rouspétant pour le principe, Sandrine accepta.

Mathieu ramena son corset orthopédique, entoura la taille de Sandrine d’une large bande de gaze protectrice dont il fit plusieurs tours de la base des côtes au dessus des hanches et fixa l’odieux plastique grâce à des crochets réglables dans le dos. Il fit allonger sa patiente à plat ventre et demanda à ses acolytes de relever les jambes bien en arrière pour arquer au maximum le creux des reins, puis à l’aide d’un tournevis, il actionna les tirefonds noyés dans la ceinture et commença le serrage de la taille.

Le corset vint se plaquer sur la bande de coton en ne laissant aucun espace disponible entre la peau et la fine protection. Il demanda à Sandrine d’expirer au maximum et de bloquer sa respiration puis, juste avant qu’elle ne re-remplisse ses poumons, il rétrécit encore la gaine. Cette dernière couvrait le thorax jusqu’à la base des seins en les remontant bien hauts et descendait sur les hanches jusqu’aux haut des cuisses.

- « Tu m’étouffes, j’ai le ventre trop serré.»

- « Je ne t’ai pas cambré les reins pour que tu sortes ton bidon comme une femme enceinte. Le serrage vigoureux que je t’impose te permettra de garder un ventre plat. Peu à peu tes organes vont se mettre en place ce qui nous permettra de mieux ajuster le serrage ultérieurement. Ne te plains pas, les patients victimes d’une fracture de la colonne vertébrale doivent supporter le corset pendant plusieurs mois.» Expliqua Mathieu.

- « Mais j’ai du mal à respirer. » se lamenta Sandrine.

- « C’est normal » expliqua Justine, « tu avais l’habitude de respirer par le ventre, c’est ce que l’on appelle la respiration abdominale utilisée en particulier par les bébés, comme ton abdomen est compressé, il faut que tu respires avec le haut de la poitrine en haussant les épaules, cela fera bouger tes seins, c’est plus esthétique. »

- « Dernier détail » compléta Mathieu, « pour éviter que ton corset ne glisse vers le haut et comprime la poitrine, je vais placer une bande rigide entre les jambes, cette lanière en cuir épais s’attache à l’avant par des crochets et se fixe par l’arrière avec des lacets pour être bien tendue, nous te la déferons quand tu auras besoin de passer aux toilettes. Voilà, tu es harnachée comme un preux chevalier, aidez là à se relever à présent.»

Sandrine ressemblait à une momie à moitié entourée de ses bandelettes. On lui passa un paréo assez ample pour cacher son armure. Elle était raide comme un piquet et ne pouvait se baisser qu’en fléchissant les genoux. La pauvre fille était toute mortifiée mais Justine l’embrassa tendrement entre les épaules en lui susurrant à l’oreille qu’elle allait devenir encore plus désirable et que les hommes allaient craquer à la vue de sa future cambrure. Selon le dicton, il faut souffrir pour être belle !

Le soir arrivait, il était temps de préparer le repas, d’organiser la soirée et de festoyer entre amis. L’apéritif tant attendu fut enfin partagé. Tout le monde mangea avec appétit et le souper fut bien arrosé, sauf pour Sandrine qui dû se limiter à cause de son estomac engoncé dans son caparaçon rigide.

La soirée fut chaude. Faire l’amour sur un bateau est un fantasme de bien des marins. Les matelots de la marine y pensent chaque jours d’abstinence pendant leur mission en attendant la permission libératoire dans les bordels d’Amsterdam ou d’ailleurs (ce qui est bien triste pour la dignité de ces dames et l’humiliation des petites amies ou épouses laissées aux domiciles). Fort heureusement, nos croisiéristes avaient tout pour satisfaire leur envies sans peiner les autres.

Enfin, presque, parce que pendant que les cabines latérales s’égaillaient de mille cris, exploitaient toutes les combinaisons du Kamasoutra et s’étreignaient par tous les côtés, l’occupante du séjour transformée en chambre d’appoint se morfondait. Coincée dans son corset qui la gênait pour bouger, dans l’impossibilité de soulager sa propres libido à cause de l’épouvantable sangle entre ses jambes qui ressemblait à une ceinture de chasteté, submergée de souvenirs et de remords, peinée par sa situation sentimentale et bouleversée de voir son ancien compagnon avoir si facilement ‘tournée la page’, Sandrine avait les larmes aux yeux.

Heureusement les pires situations ont une fin et la soirée avançant, le calme revint sur la péniche délicatement ballotée par le clapot des risées sur le canal et bercée par le croassement des grenouilles. Il faisait nuit, seule la lune brillait de son éclat moqueur comme dans la chanson ‘j’ai demandé à la lune’ du groupe Indochine. Sandrine prit une couverture et sorti sur le pont pour se rafraichir les idées. Immobile dans son carcan elle ressemblait à une prêtresse Bouddhiste en train de méditer.

Tout d’un coup Sandrine sursauta, une ombre venait de se glisser à son côté. Tom venait la rejoindre.

- « Que viens-tu faire ici ? Ta place est avec Sophie, laisse moi tranquille. »

- « Elle dort, j’ai bien le droit de parler avec toi, on a des choses à se dire. »

- « Ah oui ? Et bien justement, qu’a-t-elle de plus que moi ? »

- « Et Gérard ? Qu’avait-il de plus que moi ? Tu vois, on n’en sortira pas par des reproches. Ce n’est pas ainsi que nous cicatriserons nos blessures. Tu m’as quitté pensant trouver mieux ailleurs, c’est bien connu, l’herbe semble toujours plus verte dans le jardin du voisin. Mais la réalité est parfois décevante et la marche arrière n’existe pas dans l’écoulement de la vie. »

- « Oui, je le reconnais, j’ai joué, j’ai perdu. Je suis bien punie. Tu as bien de la chance d’avoir trouvé Sophie. »

- « Tu sais, la vie est un à l’image des voies de chemins de fer. Souvent les voies se suivent, bien côte à côte, les rayons de soleil brillent sur les rails étincelants en un quadruple reflet et puis soudain, un aiguillage les sépare, les voies s’éloignent et partent dans des directions différentes. Elles gardent toutefois le souvenir de leur compagnon de route. Elles doivent poursuivre leurs chemins seules pour atteindre leurs destinations. Il faut qu’elles soient convaincues que leur ancien accompagnateur ne les a pas oublié, à apprécié leur compagnie, qu’il pense encore à elle, qu’il a été heureux d’avoir fait ce trajet ensemble et de partager ces si beaux instants mais que le temps à passé, qu’il faut maintenant regarder devant, là ou les rails semblent se rejoindre et se convaincre qu’au bout du tunnel il y a la lumière, l’air frais et l’espérance d’un nouvelle rencontre, d’un nouveau chemin commun qui, avec un peu de chance peut les conduire jusqu’au terminus. »

- « Tu es adorable Tom, tu sais remonter le moral même si la rigidité des rails me rappelle cruellement la raideur de mon corset. Justine et Mathieu aussi sont très gentils, ils ont tout fait pour ne pas me laisser seule dans cette situation. Certes, Justine en profite un peu pour me dorloter comme une poupée, comme sa ‘chose’ qui doit être examinée nue, les jambes en l’air et le sexe ouvert devant tout le monde, qui doit lui demander l’autorisation d’aller faire pipi, d’être essuyée comme un bébé et re-sanglée avec plus de force dans ce corset qui m’étouffe et me cambre à en perdre l’équilibre. Je ne sais pas si je vais pouvoir dormir ainsi. »

- « Pour dormir, je te conseille un petit somnifère, j’en ai emmené, tu sentiras moins ton harnachement et tu oublieras tes tracas. Prend aussi ce petit laxatif à la Bourdaine, il agit lentement et te dégonflera le ventre. Demain, je demanderai à Justine de te faire un petit lavement, cela t’éclaircira le teins et te videra le ventre. »

- « A condition qu’elle aussi en reçoive un ! Je ne vois pas pourquoi il y en a encore qui n’ont pas été purgé sur ce bateau. Mais dis moi Tom, une dernière question, tu me connais, crois-tu vraiment que ma chute de reins soit insuffisante ? Ne suis-je pas désirable tel que tu m’as connu ? J’ai l’impression d’être moche, de faire peur, c’est peut être pour cela que Gérard m’a plaqué. »

- « Mais non, ma brave Sandrine, si tu étais moche tu ne m’aurais pas attiré ni Gérard non plus. Ne confonds pas ton charme avec l’appétit gargantuesque d’un séducteur volage. En économie, le marché obéi aux lois de l’offre et de la demande, tu es tombé sur un trader qui à spéculé (et pas spéculum) sur une flambée des cours. Il peut revenir vite sur ses positions si sa nouvelle conquête s’effondre sous ses coups de bourses. »

Ces quelques mots d’humour avaient redonné le sourire à notre pauvre amoureuse dépitée. Tom aida Sandrine à regagner sa couchette, à prendre ses comprimés et à s’allonger puis il regagna sa cabine et sa chère Sophie endormie. Ne pouvant pas résister à la tentation devant son corps dénudé il décortiqua prestement un suppo de Liveroïl et l’enfila profondément dans son postérieur assoupi. Au cas où elle aurait oublié !

Le lendemain nos amis reprirent la navigation. C’est un avantage certain que de pouvoir petit déjeuner en progressant dans un paysage varié. Mathieu en profita pour faire prendre à chacun deux culières à soupe de Lansoïl, « c’est bon pour le transit, cela détends les méandres des intestins et fluidifie la circulation» expliqua-t-il en constatant que le canal était encombré et que nous croisions souvent d’autres plaisanciers. Chacun en profita pour leur adresser des signes amicaux.

La lenteur de la navigation fait redécouvrir la civilité, l’amabilité et développe le sens de l’observation. C’est ainsi qu’on identifie facilement certaines nationalités de vacanciers comme les Hollandais et les Britanniques avec leur bâches tendues et parasols ouverts pour se protéger du soleil, les Allemands avec leur péniches prêtent pour la parade, les cordages lovés comme des escargots et des défenses espacées avec une précision millimétrique, les Belges identifiables à leur chaloupe de sauvetage (en cas de naufrage)… et les Français essayant toujours de griller une priorité au passage d’un pont et discrets comme une tribu Gauloise entrain de festoyer.

Le canal se rétrécit subitement et les berges firent place à des talus en gré sableux, devant nous un porche noir encadrait l’entrée d’un tunnel. L’ancien chemin de hallage se réduisait à un étroit sentier protégé par un bastingage. Nous arrivions au tunnel de Malpas (signifiant mauvais passage à cause de la friabilité de la roche). Cet œuvre d’art de cent soixante et treize mètres, permet de passer sous une colline sans avoir à franchir des écluses pour l’escalader et en redescendre. Sans l’obstination et l’audace de Paul Riquet qui fit creuser cet ouvrage en quelques jours contre l’avis de Colbert, le trajet aurait été bien plus long et la réalisation plus couteuse. Le premier ministre de Louis XIV fut mis devant le fait accompli mais finalement s’en félicita (comme quoi la désobéissance peut parfois se révéler fructueuse).

Le tunnel n’était pas éclairé. Pour des esprits tordus comme les notre, pénétrer dans ce trou noir évoquait l’entrée dans un rectum géant. Le crépi des murs destiné à renforcer la structure faisait penser aux replis internes du colon. Par contre, contrairement aux intestins la circulation pouvait s’y faire dans les deux directions et comme le trajet n’avait pas de virage, on voyait la lumière à l’autre extrémité.